Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 19.djvu/662

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cet effort de M. d’Annunzio vers le théâtre n’est pas, et on le sait, dans l’Italie contemporaine, un mouvement isolé. Les noms et les œuvres de MM. Giacosa, Rovetta, Praga, Bracco, Butti, des frères Traversi, de M. Verga, etc., ont passé la frontière. Un imprésario parisien a donné l’hiver dernier, en français[1], une suite de représentations des pièces italiennes qui avaient le plus réussi de l’autre côté des Alpes. Mais, quelles que soient la valeur et les promesses de ces nouveautés, l’œuvre dramatique de M. d’Annunzio en demeure pourtant indépendante. Il y a un réel intérêt à l’étudier en elle-même, comme une affirmation nouvelle de la nature très originale et très attachante du romancier italien.


I

Le génie français, supérieur par ses qualités de bon sens, son amour de la clarté, son instinct merveilleusement social, a pu souvent paraître moins doué dans l’ordre du lyrisme. C’est au contraire dans le lyrisme que le tempérament italien se révèle avec le plus de facilité, d’abondance et d’éclat. Toutes les conditions historiques de la vie italienne qui, pendant des siècles, ont mêlé si étroitement les passions politiques, les passions religieuses et les passions d’amour, ont contribué à développer un penchant qui était naturel à la race. L’Italien est aussi spontanément lyrique qu’il est musicien et chanteur : c’est le pays heureux où le premier venu trouve des mots de génie pour exprimer les mouvemens de son cœur. Faut-il s’étonner après cela qu’un écrivain italien contemporain, en qui l’on se plaît à reconnaître comme une résurrection des qualités d’ardeur, d’exaltation, de violence passionnée, de raffinement voluptueux qui caractérisent son peuple, se soit manifesté dans une forme supérieurement lyrique ?

Les deux premiers romans de M. Gabriel d’Annunzio, Giovanni Episcopo et l’Enfant de Volupté, masquaient un peu, sous des contraintes littéraires que l’auteur s’imposait comme une discipline, ce penchant de sa nature. Il ne faut pas s’en étonner. De même que, dans l’amour, on va, tout naturellement, à l’admiration des mérites que l’on ne possède pas soi-même, ainsi, dans

  1. Théâtre international d’Art (Bodinière) sous la direction de M. Bour.