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fois, et de tes mains, — de ces mains divines qui tremblent, — le don de la vie… »

M. d’Annunzio nous soupçonnera-t-il de défendre, contre lui, un parti pris moral ? Non, il n’est question ici que d’émotion dramatique. En effet, après avoir été si émus de son retour de tendresse vers sa femme, nous ne sommes pas moins touchés de ce cri qui jaillit du cœur du malheureux artiste quand, un peu plus tard, il juge avec ironie ce rêve d’humble bonheur auquel un instant il s’était arrêté

… « Peut-être j’aurais été sauvé si j’avais oublié aussi mon art… Certains jours, là, sur mon lit, en regardant mes mains affaiblies, il me paraissait incroyable qu’elles pussent créer encore… Je me sentais entièrement étranger à ce monde des formes, où j’avais vécu : « avant de mourir. » Je pensais : « Lucio Settala le statuaire est trépassé. » Et j’imaginais de me faire jardinier d’un petit jardin… Tu me vois là, n’est-ce pas ? heureux, moi, le sécateur à la main et habillé de coutil !… « 

Que Lucio Settala fasse le choix qu’il voudra, c’est affaire à lui et à son poète. Le spectateur ne prétend qu’une chose : si l’action de la pièce a l’étude des « caractères » pour objet, il veut qu’on lui montre les débats de ces âmes en révolte contre elles-mêmes ; si l’action de la pièce est dans « la situation, » il exige qu’on mette sous ses yeux, en fait, — et non en récit, — les événemens par où cette action se dénoue.

Fatalisme dans la conduite de l’action, symbolisme dans le dessin des personnages, — au moins du principal personnage, — voilà les deux caractéristiques de la Gloire. Or, c’est le propre de la fatalité d’être une force extérieure, invisible, que l’homme indique comme la cause de ses bonheurs et de ses malheurs, lorsqu’il n’a pas su conduire sa vie, collaborer à son destin. La fatalité dominant, dans la Gloire, tous les événemens de la pièce, l’action n’est jamais visible, « en représentation » sur la scène. On ne la connaît que par des récits. Toutes les petites et les grandes audaces qui ont conduit Hélène Comnène à son triomphe actuel nous sont seulement contées. Le vieux Broute, qu’elle a séduit et perdu, agonise ; nous le verrons une seule fois avant qu’il meure. On ne met pas en sa présence le jeune Flamma, à l’amour duquel Hélène l’immole. Les actes qui ont préparé la fortune de Flamma se sont passés à la cantonade ; on ne les connaît que par ouï-dire ; et quant à l’homme auquel