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en 1887, 1892 et 1896, supplantaient les bonnes, en ne demandant que 15 francs par mois, et les cuisinières, en se contentant de un franc par jour. Au mois de mai 1900, le ministère canadien dut promulguer une loi imposant à tous les émigrans asiatiques un droit d’entrée variant de 250 à 500 francs ; le Colonial Office de Londres fut obligé de s’incliner, et le gouvernement mikadonal interdit de délivrer à ses sujets plus de dix passeports par mois à destination du Canada, et plus de cinq à destination des États-Unis.

En Australie et en Nouvelle-Zélande, les ouvriers, groupés en syndicats pratiques, ne visant que des réformes simples, immédiatement réalisables, solidarisés avec les employés de commerce, acceptent le patronat et le salarial tels que le temps les a faits, mais se servent d’une organisation politique habilement conçue pour mener une « lutte de classes » victorieuse, qui ne les ankylose pas comme leurs confrères des Trade’s Unions métropolitaines, et leur a permis de conquérir le bénéfice du dimanche anglais, du samedi à midi au lundi matin, et des salaires quotidiens de 10 et 11 fr. 25 dans les villes, de 6 et 8 francs dans les campagnes. Les patrons sont ainsi contraints de n’employer que les ouvriers les plus habiles et les plus vigoureux, et d’adopter tous les perfectionnemens mécaniques capables de leur assurer une production intensive et des bénéfices. Faibles et médiocres sont donc éliminés pour ainsi dire automatiquement, et les Japonais figurent à la place d’honneur dans cette catégorie. Néanmoins, par surcroît de précaution, les Parlemens australien et néo-zélandais ont voté en 1901 une prohibition absolue de tous les immigrans non désirables (unwishable), et nommément de tous les Asiatiques, sans en excepter les sujets hindous et autres de Sa Très Gracieuse Majesté.

Une seule contrée du monde anglo-saxon reste largement accueillante et ouverte aux Japonais : les îles Sandwich. 16 000 d’entre eux, en moyenne, y vivent, parce que les planteurs de canne à sucre sont trop heureux d’employer des coolies contens d’être payés seulement 25 francs par mois. Jusqu’à présent, rien n’écarte ces malheureux de l’archipel d’Hawaï, pas même l’annexion aux États-Unis, puisque le Congrès n’a pas étendu aux Japonais la prohibition absolue dont il a frappé les Asiatiques chinois. Ils jouissent même, depuis cette annexion, d’un véritable monopole, puisque la loi yankee a été déclarée applicable le jour même où la stars spangled banner a été hissée sur les bâtimens officiels de Honolulu, et que les Chinois ont dû immédiatement quitter le pays. Mais cet étroit débouché ne peut pas écluser l’énorme flot qui cherche tous les ans une issue hors du Japon.