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fois, et nous voudrions bien que ce fût pour la dernière, on a entendu un homme investi d’un mandat parlementaire parler avec légèreté à la tribune de l’Alsace et de la Lorraine, et assurer que personne ne songeait plus, et n’avait d’ailleurs jamais songé sérieusement à les reprendre. Autant les sonneries de revanche et les fanfaronnades guerrières seraient ici déplacées et coupables, autant de pareilles paroles sont inconvenantes et impies. Elles opèrent comme du plomb fondu qu’on verserait sur nos blessures. Il n’y a pas longtemps encore, la Chambre ne les aurait pas tolérées ; elle les aurait fait durement expier à l’orateur qui se les serait permises. Aujourd’hui, des protestations s’élèvent sans doute ; de pareilles affirmations soulèvent encore des rumeurs, mais non plus de tempêtes, et celui qui les a énoncées ne s’en trouve pas plus mal. N’est-il pas un des amis, un des soutiens du ministère ? N’appartient-il pas à cette fraction de l’extrême gauche sans le concours de laquelle M. Combes déclare ne pas pouvoir gouverner ?

D’où vient ce changement profond dans un trop grand nombre d’esprits ? Faut-il l’attribuer à ce simple fait que nous nous éloignons de plus en plus de nos désastres de 1870-1871, et que d’autres générations, qui n’en ont pas eu l’impression directe, sont venues au monde avec des idées nouvelles et des préoccupations qu’elles jugent plus impérieuses ? Il y a un peu de cela sans doute ; on ne saurait méconnaître l’influence des années qui passent et qui s’accumulent derrière nous ; pourtant, ce n’est pas là le seul motif du phénomène moral que nous constatons, M. Ribot a peut-être tout dit, ou tout fait entendre, lorsqu’il a parlé du mauvais souffle qui était passé sur nous. D’où est-il venu ? Peu importe : nous ne voulons pas, en le recherchant, augmenter encore nos divisions. Ce qui est sûr, hélas ! c’est que beaucoup d’entre nous n’ont plus la même conception de la patrie, de l’armée, des grands devoirs dont ils ont hérité. Leurs pensées se portent de préférence ailleurs, et, lorsqu’elles en reviennent, elles sont changées. Mais il n’en est pas ainsi de tous, et nous sommes convaincus que l’immense majorité du pays est restée fidèle à ses vieux attachemens, à ses souvenirs, à ses espérances de relèvement.

L’incident d’hier en a lui-même apporté la preuve. M. le président du Conseil a dit à la tribune que, si la Chambre l’abandonnait dans l’affaire Delsor, ce serait un immense triomphe, non seulement pour l’Église romaine, mais pour le nationalisme. Il y avait sans doute quelque habileté de sa part à dénoncer le nationalisme et à le rendre responsable de toute l’agitation qui s’était produite ; mais il y avait en