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des murs, au pied du Démavend en robe blanche, — et nous nous transporterons là ce soir, quand seront arrivés mes bagages, qui traînent encore à mon arrière-garde, je ne sais où, sur des chevaux embourbés.

En attendant, allons quand même visiter un peu cette ville, avec laquelle j’ai hâte d’en finir.

Rien de bien ancien ni de bien beau sans doute. Il y a un siècle et demi, Téhéran n’était encore qu’une bourgade ignorée, quand Agha Mohammed Khan, le prince eunuque, en usurpant le trône, eut la fantaisie d’établir ici la capitale de la Perse.

D’abord les bazars. Ils sont immenses et très achalandés. Les mêmes grandes nefs gothiques déjà rencontrées partout ; on y vend des quantités prodigieuses de tapis, qui sont tissés et coloriés par des procédés modernes, et paraissent vulgaires après ceux d’Ispahan, de Kachan ou de Chiraz.

Entre deux averses, dans un rayon de soleil, montons sur les toits pour avoir une vue d’ensemble. Toujours les myriades de petites terrasses et de petites coupoles en argile, mais il y manque la lumière qui les transfigurait, dans les vieilles villes immobilisées d’où nous arrivons ; les dômes des mosquées sont vert et or, au lieu d’être bleu turquoise comme dans le Sud ; quant à ces deux espèces de donjons, tout émaillés de rose, qui surgissent là-bas, ils indiquent le palais du Chah. — Et toutes ces constructions des hommes semblent vraiment lilliputiennes, au pied des écrasantes montagnes qui, depuis un instant, achèvent de sortir des nuages.

Il vient de partir pour l’Europe, Sa Majesté le Chah, et son palais aux donjons roses est désert. Nous n’avons d’ailleurs pas d’autorisation pour le visiter aujourd’hui. Mais essayons quand même.

Les gardes, bons garçons, nous laissent entrer dans les jardins, — en ce moment solitaires et sans doute plus charmans ainsi. Des jardins qui sont plutôt, des lacs, de tranquilles et mélancoliques miroirs, entourés de murs de faïence, et sur lesquels des cygnes se promènent. L’eau, c’est toujours la grande rareté, et par suite le grand luxe de la Perse : aussi on la prodigue dans les habitations des princes. Ces jardins du Chah se composent surtout de pièces d’eau qu’entourent des bordures de vieux arbres et de fleurs, et qui reflètent les plates-bandes de lis, les ormeaux centenaires, les peupliers, les lauriers géans, les