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Mathilde, pour découvrir que ses sombres pressentimens ne l’avaient point trompée. Pendant le grand bal de noces qui fut donné le 17 novembre au palais de Christiansborg, le roi tint absolument à faire pénétrer une troupe de ses camarades dans les appartemens privés de la jeune reine. Au reste, dès le surlendemain de la cérémonie de son mariage, il avait publiquement conseillé à un de ses amis de ne jamais se marier, lui assurant que « l’état de célibataire était bien plus agréable. » Une autre fois, comme on lui signalait l’évidente tristesse de Mathilde : « Hé ! avait-il répondu, que m’importe ? elle doit avoir le spleen, voilà tout ! » L’ambassadeur français à Copenhague, Ogier, trois semaines après le mariage, écrivait à Versailles : « La princesse anglaise n’a guère produit d’impression sur le cœur du roi ; mais, eût-elle été encore plus aimable, tout porte à croire qu’elle aurait éprouvé le même sort, car le moyen, pour elle, de plaire à un homme qui croit qu’il n’est pas de bon air, à un mari, d’être amoureux de sa femme ? » Au banquet du couronnement, le 1er mai 1767, le roi était ivre en se mettant à table ; délaissée, méprisée, entourée de visages indifférens ou hostiles, la reine baissait les yeux pour cacher ses larmes ; et, dans une tribune, les choristes de la chapelle royale chantaient un hymne dont voici quatre vers : « Bien du temps se passera avant que les enfans du Nord recommencent à pleurer ; — car, tant que vivra Christian, tant que vivra Mathilde, — il n’y aura, dans le royaume, rien que de la joie, — et tout homme pourra demeurer en paix sous sa tente. »

Mais je n’en finirais pas à vouloir citer des exemples de la façon abominable dont, après son arrivée en Danemark, la charmante jeune femme fut traitée par son mari. Peut-être Christian croyait-il réellement que le « bon air » et sa dignité d’homme lui ordonnaient de traiter sa femme d’une telle façon ? Peut-être y était-il encouragé par ses favoris, dont sa faiblesse naturelle le condamnait à subir toujours la domination ? Ou peut-être ressentait-il le besoin de se venger de la désapprobation dédaigneuse qu’il lisait dans les yeux de la reine Mathilde pour la grossièreté de ses mœurs et de sa tenue ? Le fait est que, sans cesse davantage et plus cruellement, il lui infligeait les affronts les plus scandaleux. Le 22 juillet 1767, il lui signifia que, pour la punir, il ne célébrerait pas le jour de sa fête.

Le mois suivant, il lui refusa durement la faveur, qu’elle sollicitait, de l’accompagner dans son voyage à travers le Holstein. Et quand, au retour du roi, Mathilde, très fatiguée d’une grossesse difficile, prit la peine de faire huit lieues pour aller à sa rencontre, il n’eut pas une