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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/214

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dont les origines remontent aux premiers temps de l’histoire et qui nous a donné tant de mythes magnifiques — relève le réalisme des détails. Les paysans, qui sont les héros de ces trois pièces, n’ont pas seulement de « belles passions, » dans le sens où l’on a de « belles maladies : » ils ont une manière à eux de les exprimer, qui les ennoblit par sa vigueur imagée. Poètes dans la moelle, ils le sont même, quelquefois, dans le fait, et trouvent tout naturellement des rythmes pour dire leurs sentimens, le soir, quand ils sont réunis dans l’aire ouverte. La femme, éprise, ardente et folle, jette au vent de la nuit les métaphores éloquentes et les mots passionnés :


Garofano pomposo, dolce amore,
Dimmelo tu corne ti debbo amare


L’homme, avisé, prudent, qui en est encore à penser surtout à ses petits intérêts, répond sur un ton réservé, sentencieux, mais sur le même rythme :


Vedi e taci, se bene aver tu vuoi[1]


Cette fois-ci[2], M. Verga a changé ou renouvelé son genre.

Il est resté dans cette Sicile, qui est depuis longtemps son théâtre habituel. Mais il a abandonné les paysans, ses héros de prédilection, pour mettre en scène des gentillâtres, des bourgeois, des ouvriers, un personnel qui demeure pittoresque, s’il n’est plus poétique. Il a renoncé aux passions de l’amour et de la jalousie, dont il avait su tirer de si grands effets, pour s’attaquer à une passion plus commune, à certains égards moins dramatique : l’intérêt. Au lieu d’un drame extrêmement condensé, tendu et terrifiant, il nous donne une comédie plus développée, — encore qu’elle reste fort concise, — mais qui, bien que le sang n’y coule pas, prête plus à l’émotion qu’au rire. Les journaux milanais que j’ai sous les yeux semblent indiquer que le succès de cette tentative, dont tous reconnaissent le grand intérêt, a été légèrement disputé : un peu hésitant au premier acte, il se serait affirmé après le deuxième par des rappels enthousiastes, pour se ralentir au dernier. Mais on sait qu’en Italie, la « première » n’a pas le caractère décisif qu’elle a généralement à Paris : chaque grande ville tient à réserver son verdict, sans se laisser influencer par celui du public qui a eu la primeur ; en sorte que telle pièce, applaudie à Rome, est

  1. La Lupa, acte I, scène 5 (Teatro di G. Verga, etc. Milan, Trêves, 1896).
  2. Dal tuo al mio, comédie en trois actes. D’après le texte inédit.