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ces congrès annuels où les dissentimens du parti finissent invariablement par se résoudre dans le plus parfait opportunisme, et où une formule équivoque met tout le monde d’accord. Ces congrès ont perdu par-là tout intérêt, et il en aurait été de celui de cette année comme de ceux qui l’ont précédé, si M. Jaurès, y trouvant un auditoire fortuitement réuni, n’avait pas jugé à propos de lui confier sa pensée intime sur l’alliance russe. Il a fait ressortir tous les dangers de cette alliance dans le langage le plus oratoire, c’est-à-dire le moins précis : mais, à travers le vague de sa parole, on apercevait pourtant assez bien sa pensée. Il en a d’ailleurs donné dans les journaux deux expressions successives et à notre avis équivalentes, en disant d’abord : Dénonçons — puis : Détendons l’alliance. Détendre une alliance, surtout lorsqu’on choisit pour cela le moment où un des deux alliés est engagé dans une grande guerre, est une manière de la rompre. Ce n’est à coup sûr ni la plus franche, ni la plus digne, mais ce n’est pas la moins efficace. D’un bout à l’autre de la France, il y a eu une révolte du sentiment public contre les suggestions de M. Jaurès. Ceux mêmes qui avaient éprouvé un moment de doute à la première nouvelle de la guerre se sont aussitôt ressaisis, et il est apparu à tous que c’était un devoir, dans les circonstances présentes, d’exprimer à la nation amie et alliée des vœux ardens pour le succès de ses armes. Un journal, la République Française, ayant demandé à nos hommes politiques les plus en vue ce qu’ils pensaient de ce que devait être notre politique envers elle, les réponses sont venues nombreuses et empressées. Toutes se ressemblent ; toutes répètent que nous devons tenir et que nous tiendrons nos engagemens quoi qu’il arrive. Ce n’est pas à l’heure du danger qu’un pays comme la France peut se dérober à ses obligations et faire taire ses sympathies. En fin de compte, M. Jaurès se trouve avoir rendu un service. Grâce à lui, l’opinion s’est prononcée.

Nous ne répéterons pas ce que nous avons déjà dit sur la nature, autant qu’on peut la connaître, et sur les limites de nos engagemens envers la Russie. Ces engagemens ont un caractère très général, et se rapportent, suivant les termes de la note franco-russe de mars 1905, à la convenance pour les gouvernemens des deux pays de se mettre d’accord sur la politique à suivre dans toutes les circonstances où leurs intérêts essentiels sont en cause. Au surplus, quand même la France n’aurait aucun traité avec la Russie, elle ne pourrait pas se montrer indifférente à ce qui se passe en Extrême-Orient. Elle ne devrait pas oublier qu’elle y a des possessions appelées à subir le