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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/245

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échapperons du moins à quelques-uns. Le pessimisme, lui aussi, peut être une cause d’illusion, à moins qu’il ne fasse naître le danger à force de le prévoir et de l’annoncer.

Ce qui contribuera à ramener le calme dans les esprits, c’est que, suivant toutes les apparences, il ne se passera rien d’important sur le théâtre des hostilités avant quelques semaines encore. Un seul point est exposé aux attaques immédiates des Japonais, à savoir Port-Arthur ; mais les Russes ont appris à s’y bien garder. Les Japonais se sont présentés une fois de plus devant la place avec l’intention de renouveler l’exploit des Américains à Santiago de Cuba, c’est-à-dire d’obstruer l’entrée de la rade en y coulant quelques navires de commerce. S’ils avaient réussi, les vaisseaux russes qui sont dans le port n’auraient plus pu en sortir, et ceux qui sont dehors, ne pouvant plus y rentrer, seraient restés exposés à leurs coups. Port-Arthur aurait été coupé de la mer. Quels que soient les projets ultérieurs des Japonais, Port-Arthur doit servir puissamment à leur réalisation. Il y a là pour eux un point stratégique d’une importance telle qu’ils n’ont certainement pas renoncé à s’en emparer. Deux de leurs attaques ont été repoussées ; ils en feront d’autres. Sans doute, la question sera tranchée sur terre et non pas sur mer, mais Port-Arthur est en quelque sorte amphibie, et merveilleusement situé pour faciliter les manœuvres futures. Quant aux opérations purement terrestres, elles se préparent plus lentement. Les Russes, n’ayant pas une supériorité maritime qui leur permît de s’opposer au débarquement des Japonais en Corée, n’ont même pas essayé de le tenter, et peut-être même ne demandaient-ils pas mieux de voir l’ennemi s’engager sur l’élément où ils se sentent eux-mêmes le plus forts. Mais il y en a encore pour assez longtemps avant que les deux armées entrent en contact. Les Russes reçoivent tous les jours entre deux et trois mille hommes de troupes par le Transsibérien ; ils en opèrent la concentration sans trop se presser, convaincus qu’il faudra plus de temps encore aux Japonais pour opérer la leur. Ceux-ci ont envahi la Corée par l’extrême-sud et par Chemoulpo, qui est le port de Séoul. De Fousan à Séoul, ils comptent se servir du chemin de fer, mais il leur faut pour cela le terminer, car il n’en existe que des tronçons. Enfin, de Séoul à la frontière du Yalou, il y a autant de distance que de Fousan à Séoul, et les routes y font complètement défaut. La Corée est un pays montagneux, d’une pénétration difficile et lente. La saison elle-même n’aide pas les envahisseurs. Pour tous ces motifs, les hostilités sur terre ne commenceront pas de sitôt. Quant aux Russes, ils paraissent décidés