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honneur ! » Il célébra vingt-cinq fois la fête de Saint-Pierre, et la réclusion qu’il s’imposa fortifia sa santé, en dépit de tous les pronostics médicaux. Il commença pourtant par en souffrir terriblement. Une fois même, à ce que nous a raconté un de ses premiers secrétaires, il eut comme un accès de désespoir. D’un geste de colère il prit sur sa table papiers, plumes et livres, et jeta le tout contre le mur de son cabinet de travail, en s’écriant : « Quel malheur d’être ainsi enfermé, moi qui aimais tant le grand air et la vie active ! » Cependant il lui arriva ce qui arrive à tous les prisonniers. Il s’habitua à la cellule qu’il ne quittait point, et que le monde entier vint bientôt remplir de gloire. Sa santé s’améliora, les années s’accumulèrent et la mort parut l’avoir oublié. Quoiqu’il parlât de temps en temps du poids de la vieillesse et du peu de jours qui lui restaient, il semblait plutôt croire à la vie et tout résigné même à devenir centenaire. « Votre Sainteté atteindra le siècle, lui disait un jour une bonne religieuse française. — Ma fille, répondit-il, c’est comme il plaira à la Providence ; n’assignons point un terme à ses bienfaits. » Un évêque américain, lui faisant ses adieux, lui confiait sa tristesse : « Je souffre, Très Saint-Père, à la pensée que peut-être je n’aurai plus le bonheur de vous revoir. — Monseigneur, est-ce que vous souffririez de quelque maladie ? » Recevant à Noël les vœux du Sacré-Collège, et se voyant entouré de quarante cardinaux, il dit en souriant : « Vous voilà assez nombreux pour faire un conclave ! » Il s’éleva du circolo une protestation universelle, qu’il ne contredit guère, et à laquelle donnaient raison la vivacité de son regard, la fermeté de sa parole, et la présence d’esprit avec laquelle il parcourait le monde chrétien tout entier pour énumérer les joies et les douleurs qu’il en recevait.

Il avait la conscience d’être beaucoup plus jeune que son âge, et il entendit volontiers le roi d’Angleterre lui dire, en y mettant quelque flatterie, qu’il ne portait pas beaucoup plus de soixante ans. Par une coquetterie de grand homme, il n’entendait point apparaître à la postérité sous les traits de la décrépitude. Notre illustre Benjamin Constant désirait beaucoup faire son portrait, et il obtint cette faveur après une petite négociation où la gloire de l’artiste plaida sa cause beaucoup mieux que le prélat qui s’en était chargé. Pendant une semaine, le peintre se rendit au Vatican de bonne heure, avant les audiences. Il plaça son modèle dans la bibliothèque qui fait suite aux appartemens