Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/262

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les jours heureux de son enfance paisible. Il sait qu’à l’approche de l’heure suprême sa pauvre âme doit se refaire blanche comme celle d’un petit enfant, parce que Jésus a dit : « Si vous ne devenez pas comme de petits enfans, vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux[1]. »

La terrible Intruse entra dans la chambre du Pape et frappa son coup le lundi 20 juillet. Écoutons le récit du témoin.


Dimanche 19 juillet. — La faiblesse augmente, les alarmes recommencent et on se prépare au Vatican à prévenir les cardinaux, les ambassadeurs, et les principaux personnages de la Cour pontificale dès que le danger deviendra imminent. Mon cocher couche à côté du téléphone et à une heure du matin il est réveillé par une sonnerie prolongée. C’est un journaliste sans façon qui dérange toute la maison pour demander s’il est vrai que le Pape est mort. On lui répond d’aller se coucher ; la nuit s’achève anxieuse et sans sommeil ; et c’est seulement le lundi vers midi que le terrible appel retentit : Venga subito ! E agonizzante ! On attelle immédiatement et nous arrivons au Vatican avant une heure. Je monte dans la chambre du Pape. Il y a là cinq ou six cardinaux, Centra, Lapponi, Angeli, Pifferi, plusieurs camériers secrets et le Grand Pénitencier, qui, debout près du lit, vêtu du rochet et de l’étole violette, récite les prières de l’indulgence plénière in articula mortis. Pour ménager les yeux du malade que blessait la lumière, on a tiré un grand rideau entre le lit et la fenêtre et il n’y a que ceux qui se trouvent dans l’intérieur de l’alcôve qui voient le mourant, mais on l’entend répondre aux prières, il reconnaît encore ceux qui s’approchent et leur dit quelques mots. Peu à peu tous les cardinaux sont arrivés et, après avoir passé par la chambre du malade où ils s’agenouillent un instant, tous se retirent avec les prélats dans la bibliothèque privée où ils récitent à haute voix le rosaire. Puis ils continuent à prier en silence ou échangent quelques paroles à voix basse. J’apprends la scène touchante qui a eu lieu ce matin. Le Pape a fait venir en même temps le cardinal Oreglia et le cardinal Rampolla et leur a dit : « Nous avons travaillé ensemble pendant vingt-cinq ans dans l’intérêt de l’Eglise. Si pendant ce temps j’ai eu quelque tort à votre égard, je vous en demande pardon. »

  1. Giornale d’Italia, juillet 1903.