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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/350

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tient : 1° au vol, 2° aux pous, 3° à l’effroyable consommation d’eau-de-vie.

« Le cantonnement des troupes a été une charge effroyable. Quant à leur conduite, une honnête bourgeoise me racontait Qu’elle avait eu deux Russes à loger, et qu’elle aimerait mieux loger six Français qu’un pareil c… ; mais qu’elle aimerait encore mieux trois Russes qu’un seul des quarante-quatre volontaires que sa ville natale venait de mettre sur pied.

« Pour moi, je juge que les résultats tant vantés qu’on a obtenus jusqu’à ce jour, sont encore trop loin de me toucher dans mes intérêts personnels, et je suis de l’avis de ce fonctionnaire qui, après avoir réfléchi mûrement aux grands événemens dont nous sommes témoins, résolut d’attendre encore huit jours et puis de laisser tout aller sans s’en mêler. »

Non pas que ces lettrés, ces philosophes, ou ces esthètes ne fussent Allemands. On pouvait dire d’eux ce que Schiller écrivait à Guillaume de Humboldt : « Vous êtes Allemand dans les moelles, jamais vous ne cesserez de sentir et de penser en vrai Allemand. » Non pas, même, que l’expansion de leur génie et de leurs œuvres ne contribuât à la continuation, à la consolidation de l’unité nationale. Ils étaient même fortement attachés à cette patrie idéale qu’était pour eux l’Allemagne. Mais le patriotisme n’est pas seulement dans l’admiration et dans l’incarnation du génie national. Goethe, Hegel, et des milliers d’Allemands avec eux, ignoraient cet autre patriotisme, qui est l’attachement positif et matériel à l’Etat, qui veut sa grandeur, sa prospérité, son développement ; qui se sacrifie pour les assurer, et qui prend intérêt à sa vie politique.

Comment, lorsqu’on voit Goethe et Hegel dans le camp de Napoléon, ne pas revoir Voltaire dans le camp de Frédéric II. Lui aussi était Français dans les moelles ; lui aussi ne pouvait penser et sentir qu’en Français ; lui aussi avait apporté sa pierre à l’édifice de la grandeur et du génie français. Mais si Goethe avait rappelé aux patriotes allemands que Napoléon était trop grand pour eux, et si Hegel mettait les soldats prussiens de l’indépendance au-dessous des Cosaques, Voltaire aussi avait, d’une main plus alerte, prodigué les flatteries à la philosophie et aux victoires du roi de Prusse, et, d’une plume plus profanatrice, félicité Frédéric II d’avoir contemplé à Rosbach les derrières des soldats du Roi Très-Chrétien.