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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/430

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« Les arts vivent en commun, on ne les peut guère séparer l’un de l’autre. » Ce sont tous les arts qui, groupés dans une commune tendance, forment ce que nous appelons une école, et inscrivent les différences d’une contrée à l’autre. Or, et sincèrement, ni les Flandres du XIVe siècle, ni celles du XIIIe, ne nous donnent l’impression d’une école prospère avant la venue du duc Capétien-Valois, Philippe de Bourgogne, fils de Jean le Bon. Que les poètes du cru aient glorifié en des vers dithyrambiques la priorité de leurs contemporains, le cas n’est pas isolé. Mais Dante célébrant nos enlumineurs parisiens est plus digne de créance ; s’il les chante, c’est qu’ils sont. Il eût tout aussi bien noté ceux de Bruges ou de Harlem, au cas qu’il en eût ouï parler.

A considérer le mot de Primitif dans l’acception moderne, c’est-à-dire comme ne pouvant s’appliquer qu’aux plus anciens et aux véritables premiers artistes d’une école, le Primitif français est, à vrai dire, le plus ancien d’Europe. Nous savons déjà que Giotto n’y peut prétendre, étant fils direct des maîtres byzantins, descendans indirects des Romains et des Grecs. En France même, avant le XIIIe siècle, tant que les arts ne s’affranchissent pas irrévocablement du cloître pour se séculariser, l’inspiration reste traditionnelle et byzantine, sans caractère précis de terroir. A peine les ouvriers laïques, issus des communes, se montrent-ils, la poussée naturaliste s’impose, et elle s’explique par des raisons toutes simples. Le laïque ose étudier le nu, et, faute de l’enseignement pris à l’école des moines, il cherche autour de lui les élémens de ses travaux. S’il est enlumineur ou peintre, il adhère à ce groupement forcé des gens d’un même métier, qui soumet ses tenans à un canon, à une direction unique, née des tempéramens, du climat, des causes sociales et politiques. Or en aucun pays d’Europe la corporation n’a l’importance qu’on lui voit en France, et c’est Paris qui peut servir de modèle au XIIIe siècle. Son école d’artistes en tous genres est la plus libre, la plus féconde, la plus indiscutablement personnelle qu’on sache. Elle renferme des peintres, d’abord parce que l’on ne saurait admettre, a priori, que les architectes et les statuaires, les enlumineurs et les verriers, dont la renommée est universelle, n’eussent point fourni de peintres proprement dits. Ensuite nous connaissons encore des œuvres issues de ces inconnus, des fresques nombreuses, qu’une critique sage répugne à donner aux Italiens et aux Flamands, quand l’école de Paris triomphe dans tous les autres parties de