Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/448

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous aurons une enseigne établie sur des raisons plus valables. N’allons pas plus loin pour le moment. Ne disons, ni que Fouquet fut supérieur à Van Eyck, ni que le Maître de Moulins dépassa Gérard David ; ces oppositions sont de portée nulle. Les plus grands de ces peintres ont écrit les dialectes différens d’une même langue ; ceux du Nord eurent de la précision et du calme ; ceux du Centre plus d’imagination et d’esprit. Ces nuances persisteront très tard. Dans le portrait, les peintres de l’observance fouquettiste, les Clouet, n’iront pas, comme on le disait naguère encore, demander à l’Italie le secret de leur art sobre et spirituel ; ils n’auront besoin ni de Memling, ni d’Holbein, ni de Pisanello pour se former. L’école de la Loire leur aura transmis un code parfaitement en règle dont ils useront à fort bon escient. Les Clouet père et fils, Jean et François, et leur dérivé Corneille, dit de Lyon, auront à notre exposition une place plus discrète, mais le triomphe leur est acquis. Une des salles du Pavillon de Marsan leur sera réservée ; elle rappellera la « chambre aux peintures » de Corneille, visitée en 1549 par Catherine de Médicis lors de son passage à Lyon. Ultérieurement, la chambre aux peintures fut dispersée, mais Gaignières en avait sauvé les débris en les achetant des héritiers de Corneille. On en verra quelques-uns au Pavillon de Marsan, portant encore le cachet de la vente de Roger de Gaignières en 1717. À ces hommes, si expressément nôtres, viendront se joindre les peintres décadens de la pléiade franco-italienne de Fontainebleau, faussés dans leur génie propre par des équilibristes de talent tels que Primatice ou Rosso. Du nombre sera Jean Cousin avec cette Eva prima Pandora, qui provoqua, sous le second Empire, plus d’admiration que la Joconde de Léonard, et que notre génération ignore[1]. Puis ce seront la Paix du Musée d’Aix, les Grâces du Musée de Rouen, œuvres singulières, décadentes, sans beaucoup de charme pour nous. En réalité les portraits seuls marqueront la France. Ils établiront, de Jean Fouquet à François Quesnel, une chaîne ininterrompue, reconnaissable à des signes non douteux, l’esprit des physionomies, la grâce, la malicieuse ironie du regard, et ces mains, appuyées au rebord d’une fenêtre, à la façon du Fouquet de la galerie Liechtenstein, qu’on voit à la reine Elisabeth du Louvre, à la Marguerite de Valois de Chantilly,

  1. Voyez, dans la Revue du 1er mars 1872, l’étude d’Emile Montégut sur Sens, le Tombeau du Dauphin, Eva prima Pandora.