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REVUE LITTÉRAIRE

UNE HISTOIRE DU SONNET

Il suffirait d’être érudit, polyglotte et doué d’un vif sentiment de la poésie : on écrirait à propos du sonnet un curieux chapitre de l’histoire des littératures comparées. On démêlerait les origines du genre, on suivrait ses transformations pendant sept siècles et ses voyages à travers toute l’Europe, on montrerait comment des sociétés différentes l’ont façonné à leur image, et quelle empreinte il a reçue des plus nobles génies, puisque ni Dante, ni Pétrarque, ni Shakspeare, ni Ronsard n’ont été d’avis que sa petitesse dût le faire dédaigner. A ne prendre que l’histoire du sonnet en France, on aurait encore la matière d’une attrayante et instructive étude. Elle offrirait ce premier avantage de s’enfermer dans des limites précises et de se diviser en périodes nettement déterminées. Le sonnet pénètre un jour en France, y fait un beau chemin, puis disparait pendant un long espace de temps pour reprendre dans la seconde moitié du siècle dernier toute sa vitalité et tout son éclat. Notez qu’il est peu de genres plus souples que ce poème à forme fixe, et que nul autre n’offre une plus grande variété d’aspects. Il a pris tous les tons : on l’a vu tour à tour amoureux, satirique, élégiaque, mondain et débraillé, grave et burlesque, profane et dévot, psychologique, philosophique, héroïque. Et, dans chacun de ces emplois, il a toujours su réaliser son objet, remplir sa définition ; quoi qu’en ait pu dire Boileau, ce n’est rien de rare qu’un sonnet sans défaut, et ce genre fertile en chefs-d’œuvre semble avoir été inventé pour peupler les anthologies. Parmi nos meilleurs poètes, il n’en est presque pas qui, au moins par occasion, n’aient voulu se