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propriété ; mais il n’en a pas été chez nous l’introducteur. Marot et Saint-Gelais en avaient fait avant lui. Eux-mêmes ne s’y étaient essayés, semble-t-il, que parce qu’ils le trouvaient déjà en faveur dans une ville dont le mouvement intellectuel au début du XVIe siècle égale et souvent dépasse et devance celui de Paris. Lyon, qui est sur la route, était tout désigné pour que le genre arrivant d’Italie y fît sa première étape. Cette période de début, dans l’histoire du sonnet en France, n’est pas seulement une période d’essai. La Pléiade lyonnaise comprendra, peut-être avant Du Bellay, tout ce qu’on pouvait, grâce au sonnet, obtenir comme intensité de sentiment et perfection de forme. Et c’est déjà un avantage appréciable que, pour avoir essayé de retracer les origines du sonnet, nous ayons pris contact avec cette Renaissance lyonnaise qui est la première forme et l’initiatrice de la Renaissance.

Pour s’introduire définitivement en France, le sonnet va être obligé d’entrer en concurrence avec des genres déjà existans ; et puisqu’il veut en hériter, il faudra donc qu’il commence par les tuer. C’est ici un exemple de la lutte entre des genres rivaux et voisins. Car notre ancienne poésie possédait déjà des poèmes à forme fixe ; et ce qu’on lui proposait, c’était de les sacrifier au nouveau venu. « Laisse-moi, ô poète futur, toutes ces vieilles poésies françaises aux jeux floraux de Toulouse et au Puy de Rouen, comme rondeaux, ballades, virelais, chants royaux, chansons et autres telles épiceries qui corrompent le goût de notre langue et ne servent sinon à porter témoignage de notre ignorance… Sonne-moi ces beaux sonnets, non moins docte que plaisante invention italienne, conforme de nom à l’ode et différente d’elle seulement pour ce que le sonnet a certains vers réglés et limités, et l’ode peut courir par toutes manières. » L’innovation n’alla pas sans résistance, et les adversaires de Du Bellay lui rétorquaient, avec quelque apparence de raison, que si nos vieux poèmes à forme fixe présentaient l’inconvénient d’emprisonner la fantaisie et de gêner la liberté du poète, ce n’était guère la peine de les remplacer par un autre dont la contrainte n’était pas moindre et qui ne se recommandait même pas d’une tradition française. Par quelles vertus le sonnet s’est-il montré le mieux armé et le plus fort ? Quelles raisons ont assuré son succès ?

Il en est d’abord d’extérieures et de formelles. Le sonnet a une incomparable valeur d’art, et c’est le mérite des poètes de la Pléiade de s’en être avisés. S’il a des analogies de constitution avec les autres poèmes à forme fixe, il en diffère par un trait essentiel : il n’a pas le