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pour cela. Après avoir proscrit et dissous toutes les congrégations enseignantes, il devenait assez inutile de leur interdire l’enseignement comme si elles existaient encore. Quelques-unes, à la vérité, avaient échappé au massacre : ce sont celles qui étaient autorisées. Il y avait dans ce cas plusieurs congrégations de femmes, et une seule congrégation d’hommes, celle des Frères des écoles chrétiennes. A quoi bon faire intervenir le législateur contre elles ? Pourquoi ne pas leur retirer par simple décret l’autorisation qui leur avait été donnée ? Le résultat désiré aurait été atteint de plano. Mais le gouvernement n’a pas voulu agir ainsi, soit qu’il ait reculé devant la responsabilité qu’il aurait dès lors assumée à lui tout seul, soit qu’il se soit proposé de faire ce qu’on appelle pompeusement une loi de principe. Il y a une autre explication à sa conduite. M. Charles Benoist l’a donnée dans le solide et brillant discours par lequel il a ouvert le débat : c’est que le gouvernement ne sait pas plus où il va que nous ne savons où il nous mène, et qu’il procède par à-coups, au hasard des impulsions successives qui s’exercent sur lui du dehors. M. Charles Benoist a rappelé que c’est au Sénat, le 12 novembre dernier, que la nécessité de faire une loi d’ensemble pour interdire l’enseignement congréganiste est apparue soudain à l’esprit de M. le président du Conseil. On discutait une loi toute différente, celle dont on a pris et gardé l’habitude d’attribuer la paternité à M. Chaumié, bien qu’elle ait été changée en nourrice. Elle ne visait que l’enseignement secondaire, et ne prononçait l’interdiction d’enseigner que contre les congrégations non autorisées. Ce n’était, comme le disait M. le ministre de l’Instruction publique, que l’application pure et simple de la loi de 1901. Mais déjà les amis du ministère trouvaient que ce n’était pas assez, et deux d’entre eux, appartenant au groupe le plus avancé du Sénat, ont proposé, l’un, M. Alfred Girard, qu’on interdit l’enseignement à tous ceux qui prononceraient les vœux d’obéissance et de célibat ; l’autre, M. Delpech, que l’interdiction fût étendue à toutes les congrégations. L’amendement Girard allait plus loin que l’amendement Delpech, puisqu’il s’appliquait aux prêtres séculiers. Le gouvernement, pour faciliter le vote de sa loi, s’engagea à déposer avant la fin de la session un nouveau projet qui donnerait satisfaction à M. Delpech. Et de là est venue la loi que la Chambre discute.

Nous avons dit que la discussion n’avait pas manqué de quelque éclat. On y a parlé, il est vrai, un peu de tout, et l’auditeur venu du dehors, qui serait entré, sans être averti, dans une tribune, aurait pu se croire tombé au milieu d’une conférence philosophique, ou même