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sont certainement aujourd’hui plus rares et moins violentes que dans le passé. »

Un progrès au moins a été réalisé ici même, concluait Bluntschli, et c’est que « chaque grande formation nouvelle des partis s’élève d’un degré au-dessus de la précédente. Les partis se sont de plus en plus dégagés de tout alliage étranger, pour se fonder davantage sur les principes, pour devenir plus consciens et plus libres. » Le vieux maître disait-il vrai ? Ou ne voyait-il pas, théoricien impénitent, les idées plutôt que les faits ? Ne voyait-il pas seulement parmi les faits ceux qui allaient dans le sens de ses idées ? Mais nous, n’en avons-nous pas vu, n’en voyons-nous pas encore d’autres, qui vont en sens inverse ? Contemporains et concitoyens de certains partis, spectateurs admis de tout près à leur naissance et à leur croissance, oserions-nous bien affirmer que chaque formation nouvelle est un progrès sur la précédente, et que chaque parti nouveau, plus sévèrement fondé sur les principes, monte de plus en plus vers l’idéal de liberté consciente proposé comme état de perfection, comme fin suprême, à la vie et à l’œuvre des partis politiques ?

Quoi qu’il en soit, — et en attendant que nous sachions ce qu’il en est, — historiquement, dans l’histoire parlementaire moderne, depuis les tories et les whigs, depuis 1648 et 1680, la formation parfaite des partis a été la formation en deux grands partis opposés et alternans, existant à cette triple condition et n’existant qu’à cette triple condition : un chef, un programme, une discipline. Chef librement reconnu, programme librement adopté, discipline librement acceptée ; adhésion au programme, soumission à la discipline en la personne du chef. Ainsi le leadership, — comment traduire ce mot intraduisible ? — l’autorité (ou, si l’on pouvait le dire, la chefferie) est l’élément premier et constitutif, le noyau du parti classique. C’est autour du chef que le parti s’agrège, et il est le chef non seulement parce qu’il est le leader, parce qu’il parle ; mais il l’est aussi et surtout parce qu’il pense, parce qu’il veut, parce qu’il agit, parce qu’il manœuvre et parce qu’il gouverne pour le parti et par le parti. Le parti est dans la main du chef, et chaque adhérent du parti ; de l’adhérent au chef, il n’y a en quelque sorte point d’intermédiaire, l’adhésion est directe, le lien est presque personnel. L’adhésion est donnée une fois pour toutes, au parti et au chef, au chef représentant et incarnant le parti ; au parti libéral et à