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dans l’ouvrage de son père. Deux d’entre elles représentaient un jeune garçon en perruque poudrée qui, dans l’une, tenait bien, dans l’autre tenait mal son violon ; et le dessinateur lui avait prêté, pour cette dernière circonstance, un sourire satisfait qui aurait peut-être été plus de mise dans la première. La planche suivante ne montrait plus que deux mains, dont l’une tenait bien l’archet, et l’autre le tenait mal : mais des mains charmantes, fines, légères, avec un rebord de manchette élégamment retroussé. Des œuvres d’art, aussi, ces planches de la méthode : et cependant si nettes, si parfaitement appropriées à leur destination, que chacun, en les voyant, comprenait de suite en quoi consistait au juste la façon convenable de manier le violon ; heureux temps, en vérité, où tout ce que l’on faisait était bon et beau ! Enfin la quatrième planche servait de frontispice : dans le cadre d’un gracieux rinceau entrelacé de fleurs, elle montrait la solide et imposante figure de l’auteur de l’ouvrage, debout, vu de face, et jouant du violon, ou plutôt enseignant, une fois de plus, la manière d’en jouer[1]. Autour de lui étaient épars des feuillets de musique, mais épars en un désordre qui devait avoir été patiemment étudié ; car c’est suivant la hiérarchie traditionnelle des genres qu’on lisait tour à tour sur chacun de ces feuillets, depuis le plus en vue jusqu’au plus caché : Sinfonia, Missa, Offert(orium), Fuge, Diverti(menti), Pastorello, March. Puis, sous le portrait, cette phrase de la Rhétorique de Cicéron : Convenit igitur in gestu nec venustatem conspicuam nec turpitudinem esse, ne mit histriones aut operarii videamur esse. Et le choix de cette épigraphe constituait, à lui seul, presque un second portrait.

Léopold Mozart était né professeur. Il avait une intelligence vigoureuse et souple, mais un peu bornée, indifférente à tout ce qui n’était pas susceptible d’être appris et enseigné. Nul goût de rêve, nulle curiosité artistique ou philosophique. Son sens même de la réalité paraît avoir toujours été plutôt celui d’un professeur que d’un homme ayant une observation personnelle. On a beaucoup vanté son esprit pratique, et, en effet, ses lettres sont pleines de sages conseils, de projets ingénieux : on oublie seulement que, à l’usage, neuf fois sur dix, ses projets se sont trouvés échouer et ses conseils rester inutiles. Il appartenait à

  1. Un grand tableau du Mozarteum reproduit le même portrait : mais le modèle, au lieu de jouer du violon, tient à la main un exemplaire du livre.