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nouveauté des idées, la science des harmonies et des contrepoints, et jusqu’au plaisir de l’oreille, tout cela, dans une bonne musique, était tenu de se subordonner à l’expression, et de la servir. Rien n’était plus méprisable, au jugement de Léopold Mozart, qu’une musique n’ayant pour elle que d’être savante, sinon peut-être une musique de pur agrément, qui charmait les oreilles sans toucher le cœur. Une telle façon de comprendre la musique était du reste, on le sait, exactement aussi vieille que la musique même. En tout temps, depuis les Egyptiens et les Grecs jusqu’à cette crise générale de bouleversement et de confusion qu’a été, dans tous les arts, la révolution romantique de la première moitié du XIXe siècle, les hommes se sont accordés à penser que la musique avait surtout pour tâche d’exprimer et de faire revivre les sentimens intérieurs, de même que la tâche de la peinture était de représenter aux yeux les formes et les couleurs des objets visibles. Mais le fait est que, durant le XVIe et le XVIIe siècle, le développement universel du contrepoint avait un peu relâché, dans le détail, le lien entre les signes musicaux et les sentimens qu’ils devaient traduire. Expressive, la musique de Haendel et de Bach l’était, certes, autant que le plain-chant ou que le trésor des chansons populaires ; mais elle l’était moins exclusivement, d’une expression moins minutieuse, moins suivie, presque moins littérale. L’émotion s’y trouvait, pour ainsi dire, exprimée en bloc, pleinement et profondément, mais sans la variété de ses nuances intimes. Et je ne serais pas éloigné de croire, même, que peu de motifs aient contribué plus que celui-là à produire, au début du XVIIIe siècle, la soudaine réaction du goût musical : compositeurs et public ayant enfin ressenti l’impérieux besoin d’une musique qui les touchât de plus près et leur « parlât » davantage, fût-ce même au sacrifice de beaucoup de science et d’un peu de beauté. L’œuvre entière de Philippe-Emmanuel Bach, en tout cas, était déjà un effort pour simplifier et assouplir la grande langue musicale des générations précédentes, de façon à en accroître le pouvoir expressif : et, pareillement, c’est avant tout sur l’expression que reposait l’admirable méthode de piano de ce maître, — cet Essai sur la véritable manière de jouer du clavecin, qui, comme je l’ai dit, publié en 1753, a sans doute servi de modèle à l’Ecole du violon de Léopold Mozart. « La musique, écrivait Emmanuel Bach, a naturellement pour but d’émouvoir les cœurs ; or, un musicien ne peut toucher d’autres