Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/583

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Comment admettre que l’auteur applaudi de cette Course de Traîneaux, ayant à faire l’éducation musicale de son fils, ait négligé de lui apprendre le moyen de « représenter » des « dames grelottant de froid, » ou « des chevaux qui s’ébrouent ? » Et cela, si l’on songe, surtout, qu’au même moment, des hommes d’une bien autre valeur que Léopold Mozart, un Joseph Haydn, un Gluck, un Dittersdorf, s’accordaient à tenir un tel emploi de leur art pour la chose la plus naturelle du monde, et la plus légitime ? Mais, sans doute, le maître de concert de Salzbourg avait raison quand il croyait à la nature miraculeuse et providentielle du génie de son fils : car c’est chose certaine que celui-ci, seul des musiciens de son temps (hélas ! de tous les temps), a constamment refusé de rabaisser la musique à un tel emploi. En vain on chercherait dans toute son œuvre l’équivalent de la Création de Haydn, des Symphonies sur les Métamorphoses d’Ovide de Dittersdorf, de la Bataille de Vittoria de Beethoven, voire même de sa Symphonie pastorale. Ou que si l’on y trouve parfois des morceaux en forme de « chasse » ou alla turca, c’est que ces termes avaient fini par prendre, en musique, un sens tout général, un peu comme les mots de « gothique » et de « roman » en architecture, ou comme ce dernier mot en littérature. Quelques rythmes d’accompagnement, çà et là, « imitant » une fuite, ou les battemens d’un cœur : à cela s’est bornée, chez Mozart, la musique « descriptive[1]. » Ses plaisanteries mêmes, lorsqu’il en a fait, sont toujours restées d’ordre musical : consistant, par exemple, dans l’exagération bouffonne de certains sentimens, ou encore en des fautes commises à dessein. Dès l’enfance, l’instinct profond de beauté qu’il portait en lui l’a préservé contre tout ce que pouvaient lui offrir de faux ou de dangereux les leçons paternelles ; et l’on comprend le plaisir mêlé de stupeur que devait éprouver Léopold Mozart à découvrir, d’heure en heure, que son élève non seulement semblait connaître d’avance la musique qu’il lui enseignait, mais qu’au fur et à mesure il l’allégeait et la purifiait, avec une sûreté, un goût, un discernement prodigieux.


Aussi l’excellent père se confirmait-il de plus en plus dans

  1. On trouve cependant quelques effets d’imitation dans ses premiers essais dramatiques, mais très simples, très courts, et déjà, relevés d’une signification expressive.