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Philippe-Emmanuel Bach, ce sont les deux principales des qualités natives que nous révèlent ces morceaux, où d’ailleurs se devinent toujours l’âme et la main ignorantes d’un enfant. Nulle affectation de savoir ni de nouveauté : de petites idées, simples, innocentes, et traitées avec tout juste le degré de science qui pouvait convenir à les utiliser. Mais pourtant quel sûr et rapide progrès nous découvrons là, d’un morceau à l’autre ! Les idées s’étendent, acquièrent plus d’aisance et de fermeté ; les rythmes deviennent plus souples ; le contrepoint même commence à s’animer, cessant d’être la machine inerte et monotone que traînaient lourdement à leur suite les piètres mélodies de Léopold Mozart ; et déjà le sixième morceau (un menuet du 16 juillet 1762) présente, dans son expression et sa forme, une maturité suffisante pour qu’à Paris, deux ans plus tard, Mozart le juge digne de figurer dans sa première sonate imprimée. Oui, nous sentons que ces gentils menuets ont été toute la vie et tout le bonheur de l’enfant, à Salzbourg, pendant les premiers mois de l’année 1762. Chacun d’eux conserve pour nous la trace de quelque nouveau rêve, d’un but atteint ou d’un obstacle franchi, d’une étape décisive dans la course la plus passionnée que, peut-être, un artiste ait jamais tentée à la poursuite de la beauté parfaite. Et d’autant plus nous regrettons que la nécessité de se préparer au voyage de Vienne, et ensuite à celui de Paris, ait durant plus d’un an arrêté le petit Wolfgang dans ce libre et joyeux travail de création artistique, pour faire de lui ce que nous allons maintenant le voir devenir, un « phénomène », un objet de curiosité banale et un peu dégradante, quelque chose d’analogue à un faiseur de tours ou à un chien savant.


T. DE WYZEWA.