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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/596

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le cas où la violence du vent augmenterait encore. Nous croyions aller à New-York, mais le commandant ouvrit des ordres cachetés qui le forçaient de me conduire à Rio-Janeiro. Je restai vingt jours dans la baie, ne pouvant pas débarquer et toute communication avec la terre ferme étant expressément défendue. Je me suis amusé à dessiner la vue, qui est une des plus belles qu’on puisse voir. Le soir, j’allais me promener dans le canot du commandant, car il faisait une chaleur horrible et jamais, je crois, je n’ai eu si chaud que cette année-ci, pendant les mois de décembre, janvier et février. En fait de curiosités, j’ai vu des dorades, poissons dont les couleurs sont superbes, et des milliers de poissons volans : ils s’envolent pour fuir leurs ennemis (les dorades) qui les poursuivent et ils franchissent ainsi un trajet de deux à trois cents pas ; lorsque leurs ailes sont sèches, ils ne peuvent plus voler. Enfin, j’ai vu des nuages verts et un arc-en-ciel de lune.

Je suis arrivé le 30 mars 1837 à New-York ; j’ai quitté la frégate en pleurant, car c’était encore la France ; c’étaient encore des compatriotes que je quittais ! »


Puis il émet des jugemens, un peu hasardés peut-être après un séjour aussi court, sur les institutions américaines. Il croit que le régime républicain n’y est pas très stable et ne pourrait soutenir le moindre choc.


« Les partis, ajoute-t-il, sont aussi exaspérés ici qu’en Europe et le temps n’est pas éloigné, je crois, où la Constitution des Etats-Unis, déjà violée par le pouvoir, sera renversée par le peuple.

Je vais bientôt parcourir l’intérieur du pays. Jusqu’à présent je n’ai vu que New-York ; mais comme on se trompe lorsqu’on nous montre les institutions de ce pays-ci comme des modèles ! Le pays est dans la situation la plus favorable qu’on puisse imaginer pour supporter les institutions républicaines les plus larges ; il n’y a ni voisin, ni population trop forte pour son territoire ; l’égalité règne ici même dans les capacités. Eh bien ! ils ne peuvent supporter la moindre secousse. Hier, le premier journal d’ici disait, en parlant du Président, qu’il ne pourrait pas se promener à pied dans les rues de New-York pendant deux heures sans être assassiné ! Ainsi la haine pour un homme qu’on a élu, pour un homme dont, le mandat n’est que de quatre ans, est aussi forte que celle que l’on ressent quelquefois en Europe pour