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de la France, qui reçoivent 3 et 4 francs. Ces « tapissiers-là » sans doute étaient plutôt des ouvriers en meubles, non des « bas-liciers, » tels que ceux d’Aubusson et de Felletin, où cette industrie s’était maintenue, et ne rapportait plus de quoi vivre au XVIIIe siècle.

Le commerce des tapisseries, écrit, en 1743, M. de Bonneval, inspecteur des manufactures, « retient les fabricans de ces localités dans une médiocrité surprenante et les ouvriers dans la plus profonde misère qui se puisse imaginer. Ils ne sont nourris à suffisance, d’un pain de tourtre où le son est joint au grain pour former plus de volume, ni logés à peu près pour se garantir des injures du temps. La plupart sont couchés sur une poignée de paille et leurs habillemens excitent la compassion. Il semblera peut-être que cette description est exagérée, mais elle contient la vérité la plus exacte. Il n’y a point de fabrique dans le royaume où les ouvriers soient aussi misérables, quoique le métier exige presque autant de travail d’imagination que du corps. »

On n’a pas de peine à croire les assertions qui précèdent lorsque le même fonctionnaire nous fait connaître que les « très bons » ouvriers d’Aubusson gagnaient 7 à 8 sous, les « médiocres » 5 à 6, les « faibles » 4 à 5 sols… : or le pain blanc valait 2 sous la livre. Le bas prix des tapisseries expliquait cette situation lamentable, et il est vrai que les tentures d’Aubusson, à 30 et 40 livres l’aune, — 75 francs le mètre carré, — n’étaient pas d’une exécution bien merveilleuse. Mais les Gobelins eux-mêmes avaient baissé leurs prétentions.

Un grand seigneur contemporain possède, dans ses archives, le mémoire soldé par son aïeul, en 1705, à la Manufacture royale, pour une suite de cinq panneaux de « l’Histoire d’Esther, » d’après de Troy, qui n’ont pas cessé, depuis lors, d’orner le grand salon de la demeure historique où il réside. Le prix était de 383 livres l’aune, — 680 francs le mètre carré en monnaie actuelle, — très avantageux… pour le directeur des Gobelins, qui n’avait pas souvent l’occasion de traiter des affaires pareilles. Les 2 616 aunes de tapisseries, exécutées pendant les trente-trois années de l’administration de Neilson, parmi lesquelles figurent ces admirables tentures d’après Boucher, Coypel ou Van Loo, que l’univers se dispute à prix d’or, furent payées à ce chef d’atelier par Louis XV, son royal et presque unique client, sur