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sont absorbés par les reliefs de la boucle. — C’est l’ « embuvage. » — On tient compte de cette réduction en imprimant, sur trois centimètres de long, la couleur dont on veut obtenir un centimètre sur le tapis terminé, et en proportionnant le dessin, ou « raccord, » au périmètre du tambour.

Chacun de ces tambours, de ces « grosses caisses » devrait-on dire, immobile, est suspendu comme une roue à peu de distance du sol, de manière à laisser passer et repasser sous lui un petit chariot, porteur de brosses colorées. Le conducteur est guidé par une esquisse, dont le quadrillage, nuancé et repéré, lui commande de teindre en bleu n° 14 ou en rouge n° 26, l’endroit précis du cylindre qui porte le n° 422.

Un mouvement transversal du chariot demandé, glissant sur des rails, imbibe les fils ; lorsque le tambour, ayant terminé sa révolution, est bariolé sur la totalité de son pourtour, on porte la laine ainsi teinte au « coffre à fixer, » sorte de four en dalles de verre dévitrifié, très dures et insensibles aux acides où la couleur est cuite pendant vingt minutes par de la vapeur sèche, à 100 degrés de chaleur. Après un lavage final qui élimine l’excès du colorant, non fixé à la fibre, les écheveaux réunis bout à bout sont prêts à être tissés, prêts à faire leur partie dans cette symphonie imagée de 200 fils, où les 199 autres exécutans, qui ont chacun appris leur rôle sur un cylindre séparé, viendront se ranger côte à côte pour former un tout harmonieux.

Grâce à l’impression sur chaîne et aux moquettes bon marché qu’elle permet d’établir, les tapis fabriqués -ici atteignent une clientèle qui, il y a trente ans, ignorait le tapis. Une partie de ces produits s’exportent dans l’Amérique du Sud ; ils trouvent des acheteurs jusqu’en Extrême-Orient, parmi les Chinois et les Japonais, auxquels les colorations vives ne déplaisent pas. En France surtout, ils donnent une note de confortable et d’agrément à des intérieurs modestes, note précieuse et caractéristique du progrès contemporain, qui s’opère lentement au profit du plus grand nombre.

Une évolution inverse de celle qui agit en faveur des consommateurs, réduit de plus en plus le profit des producteurs. Non point des producteurs ouvriers ; car dans l’usine où nous sommes, aussi bien que dans toutes autres, le taux des salaires n’a, depuis trente ans, cessé de croître ; la journée de travail y est plus courte, la besogne moins pénible grâce aux machines, le chômage