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baptismaux… Les soldats (c’étaient ceux d’une compagnie de sans-culottes récemment formée à Bruxelles et non ceux de l’armée de Dumouriez), affublés de chapes et chantant d’obscènes chansons, formaient à travers la cathédrale, une procession bouffonne. » Les Belges ayant émis quelque timide protestation et averti de ces désordres les commissaires de la Convention, ceux-ci répondirent que « l’opération était commandée par l’intérêt de deux peuples formant désormais une seule famille[1]. »


Très sincèrement, Dumouriez, en pénétrant dans la Belgique, avait eu l’intention de lui donner l’indépendance, d’y créer un gouvernement national, ordonné et probe. Bien vite étaient venues les désillusions et les dégoûts. A toutes ces violences il avait essayé de s’opposer, avait réprouvé tous les excès et ri de ces bouffonnes extravagances.

Parlant de la « mission de propagande » de la Montansier et de celle des artistes de l’Opéra, il dit dans ses Mémoires : « Le général ne protégeait pas non plus cette sottise et n’a vu qu’un jour à dîner chez lui ces virtuoses de l’Opéra, lesquels, du reste, se sont conduits avec beaucoup de décence et de raison et ont été beaucoup plus sages que les ministres qui les avaient envoyés[2]. »

En cinq mois d’occupation, les Jacobins français avaient réussi pleinement à changer en haine l’amitié non équivoque que les Belges avaient eue pour la France, et quand, en mars, les Autrichiens, reprenant l’offensive, chassèrent successivement les troupes françaises d’Aix-la-Chapelle d’abord, puis de Liège, et menacèrent Bruxelles, ce fut dans tout le pays un immense cri de soulagement et d’espoir.

Comme les gouvernans autrichiens avaient fui jadis, les gouvernans jacobins s’apprêtaient à fuir. Une file immense de chariots de tout genre ne cessait, jour et nuit, de traverser Bruxelles ; on ne trouvait plus ni chevaux ni voitures ; c’était le même spectacle qu’en novembre 95 ; mais, cette fois, disait un Français, « il nous coûte des souvenirs amers[3]. »

Avec ses comédiens et ses actrices, ses danseurs, ses machinistes et ses musiciens, emportant ce qu’elle pouvait de son matériel et de ses bagages, la citoyenne Montansier fuyait comme les autres. Financièrement, son entreprise, — cette affaire dont elle attendait un si fructueux succès, — a complètement et piteusement échoué. Elle n’a plus

  1. A. Chuquet, la Trahison de Dumouriez, p. 79.
  2. Mémoires, livre VII. chap. III.
  3. Cité par A. Chuquet, la Trahison de Dumouriez, p. 63.