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pepsine véritable. On dit que l’acide, l’oxygène, ont transformé la propepsine, ferment d’attente, pro-ferment, en ferment véritable.

On a établi une assimilation entre les deux phénomènes. La kinase agirait dans le cas du suc pancréatique comme l’acide dans le cas du suc gastrique. Ce serait un agent éphémère qui conférerait l’activité au suc inactif et disparaîtrait ensuite. Le suc pancréatique activé deviendrait alors capable d’attaquer l’albumine. La digestion pancréatique serait donc, en résumé, un drame en deux actes. Chaque acte se jouerait entre deux personnages, le premier entre le suc inactif et la kinase, le second acte entre la trypsine, fille des deux précédons, et l’albumine-aliment.

Mais MM. Dastre et Stassano, et, dans un autre sens, M. Delezenne ont montré que cette explication n’était pas correcte. En réalité, il s’agirait d’une action à trois facteurs, analogue à celle dont M. Gabriel Bertrand a fourni un exemple avec le ferment de la laque.

De quelque nature que soit cette collaboration de la kinase et du suc inactif, il n’en est pas moins certain qu’elle dévoile une intrusion indispensable du suc intestinal dans la digestion des albuminoïdes. À ce point de vue, le pancréas ne jouit pas d’un privilège exceptionnel : il est en condominium avec l’intestin.

Et ce n’est pas tout. Il y a une variété de matières protéiques pour lesquelles le suc intestinal a une vertu opérante exclusive. Ce sont les matières déjà éprouvées par la digestion gastrique ou par un commencement de digestion pancréatique : ce sont les peptones. Un physiologiste allemand, Cohnheim, a signalé, en 1901, la présence dans la muqueuse intestinale d’un ferment, l’érepsine, qui conduit jusqu’à son terme la digestion des peptones. Elle est incapable de commencer l’attaque de l’albumine : mais, lorsque l’action est engagée, elle la poursuit et l’achève, comme une troupe de cavalerie achève la victoire de l’infanterie et précipite la déroute.

Si l’on songe que déjà le suc intestinal digère le sucre, le fait qu’il exerce une action prépondérante dans la digestion des albuminoïdes le met de pair avec le suc pancréatique. On voit, comme nous l’annoncions au début, que le pancréas est bien près de se voir dépossédé, et cette fois au profit de l’intestin, de la puissance digestive qui lui avait été attribuée au détriment de l’estomac par les physiologistes nos prédécesseurs.


A. DASTRE.