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de l’argent et qu’il n’en avait pas. Le peu dont il dispose sera dévoré, et au-delà, par les réformes scolaires. Créez d’abord des ressources, a dit M. Combes. Cela a exaspéré M. Millerand. Certes, il est d’accord avec le gouvernement sur la nécessité de supprimer les congrégations ; il n’est pas plus libéral, ni tolérant qu’un autre ; mais il ne croit pas que la vie et comme la respiration d’un grand pays doive être indéfinitivement suspendue à la seule et unique affaire qui passionne M. Combes, absorbe ses facultés et ne lui laisse aucun loisir pour d’autres questions qui ne sont pas moins graves, et qui même, aux yeux de M. Millerand, le sont plus. On a déjà supprimé tant de congrégations que l’heure serait venue de passer à un nouvel exercice, en laissant au temps le soin de compléter une œuvre à peu près achevée. Un spirituel publiciste, M. Henry Maret, écrivait naguère que le congréganiste était sans doute un mets excellent, dont le peuple était friand et se délectait fort, mais que cependant il commençait à trouver que ce pain était un peu sec et qu’il conviendrait de mettre quelque chose dessus. Ce que M. Henry Maret avait dit sous forme humoristique dans son journal, M. Millerand l’a répété à la tribune avec plus de solennité et de vigueur agressive. Sa voix impérieuse et tranchante résonnait dans la Chambre étonnée et silencieuse. Les membres de la droite et du centre semblaient changés en statues. Ceux du bloc ne savaient pas encore ce qu’ils devaient penser. Les radicaux avancés seuls et les socialistes donnaient des signes d’impatience et d’irritation. M. Jaurès surtout s’agitait ; on sentait qu’une tempête se formait sous son crâne. M. Combes et lui ont répondu à M. Millerand, mais ni l’un ni l’autre n’a dit ce qu’il y avait à dire : nous le ferons à leur place.

La vérité est que M. Combes s’est conduit à l’égard de ses amis avec une loyauté parfaite, à laquelle notre absolu désintéressement dans cette querelle de famille nous permet de rendre justice. Dès le premier jour, il a déclaré qu’il n’avait accepté le pouvoir que pour supprimer le plus de congrégations possible. Il ne faut pas lui demander autre chose ; il ne sait faire que cela ; son esprit ne va pas au-delà de cet horizon limité. Pourquoi M. Millerand, aujourd’hui, exige-t-il de lui davantage ? M. Combes ne l’a pas trompé ; il ne l’a pas pris en traître ; il lui a avoué dès le premier jour n’être bon qu’à faire la guerre religieuse. On lui demande de réaliser de grandes réformes sociales ! Est-ce qu’il connaît les réformes sociales ? Est-ce qu’il est socialiste ? Depuis quelques semaines, l’état du monde est fort troublé. Une guerre imprévue a posé en Extrême-Orient des problèmes