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paravent et rangé dans une resserre le lit de Lemoine, celui-ci, s’approchant de l’alcôve royale, s’inclina respectueusement et prononça la formule habituelle :

— Sire, il est sept heures.

Alors il souleva les rideaux et s’aperçut que le lit était vide.

Très surpris de cette dérogation sans précédent aux usages de la chambré, il chargea Hubert de s’informer au rez-de-chaussée de la Reine si, contrairement à ses habitudes, le Roi n’y était point descendu. Hubert revint très troublé : — « Il ne faisait point jour chez la Reine ; » mais il avait appris de Lenoble, garçon de toilette « qu’il n’y avait personne chez Monsieur le Dauphin[1]. » Lemoine, stupéfait, s’obstinait à ne pas croire possible la disparition de son maître qu’il n’avait pas quitté de la nuit : il explora l’appartement. Le lit du Roi était placé entre deux portes : l’une donnait accès à un cabinet de garde-robe, par où l’on passait dans la chambre du Dauphin, l’autre ouvrait sur un étroit escalier conduisant au rez-de-chaussée[2]où le Roi s’était ménagé un oratoire, un cabinet de repos, et une petite forge[3]. Toutes ces pièces étaient désertes.

Lemoine remonta plein d’angoisse.

Comme la demie venait de sonner, il se décide à ouvrir la porte communiquant à la salle du Conseil où attendent les « petits services, » fort étonnés de ce retard insolite : là, se trouvent Gentil, valet de garde-robe et Beaugé, premier garçon[4], auxquels Lemoine apprend l’absence du Roi. Les deux hautes fenêtres de la salle du Conseil sont larges ouvertes sur le Carrousel ; dans la galerie de Diane, les cireurs frottent le parquet ; les Suisses replient leurs lits ; les valets en peignoirs se poudrent. C’est un campement au réveil. A la nouvelle, tout le

  1. « Le sieur Lemoine… fit l’observation au dit valet de chambre qu’il devait s’informer chez la Reine si le Roi n’y était pas et le valet de chambre (de la Reine) lui répondit qu’il n’était point jour. » Déclaration de Pierre Hubert.
  2. « Il y a une communication, qui, de la chambre du Roi donne dans l’appartement du Dauphin, et une autre porte sur un petit escalier intérieur qui descend dans ses cabinets au rez-de-chaussée, de plain-pied et communiquant avec l’appartement de la Reine. »
    Déclaration de Marquant. Archives nationales D XXIXb 3G.
  3. Le Château des Tuileries par P. J. A. R. D. E. (Roussel d’Epinal), 1802.
  4. Antoine-Philippe Gentil, valet de garde-robe du Roi, 39 ans. Louis-Joachim-Filleul 13auge, garçon de la chambre, 17 ans. « Il est entré dans l’appartement du Roi à 7 heures ; M. Lemoine sortant de la chambre a annoncé que le Roi n’y était pas. »