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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 20.djvu/730

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l’heure, imitent le coucou au quart, carillonnent à la demie, montrent des défilés de personnages ouvrant des portes, tournant des roues, entrant, saluant, sortant avec une régularité miraculeuse, et dont tous les rouages se trouveraient soudain paralysés.

Et dans cet hébétement, il y avait de la panique, la terreur de ce qu’allait dire ce formidable Paris qui s’éveillait sous le ciel couvert d’un jour d’été lourd et orageux[1].

Par les croisées de la galerie, on apercevait, dans la cour des Princes, des groupes de gardes nationaux allant et venant d’un perron à l’autre, discutant, criant, gesticulant. M. de Brissac, capitaine des Cent Suisses de la Garde, parut, peu soucieux, légèrement ironique. Marquant et Gentil avaient couru chez M. de Liancourt, grand maître de la garde-robe, qu’ils trouvèrent à sa toilette, très incrédule, ayant assisté, la veille, au coucher, et n’ayant quitté la chambre qu’au moment où Sa Majesté se mettait au lit[2]. Car, de penser que la famille royale avait pu s’évader, le coucher fini, de cette bastille si bien gardée, où chacune des portes intérieures avait sa sentinelle, chacune des sorties son poste permanent, l’idée n’en venait à personne, et on restait là, en détresse, huissiers, valets de chambre, garçons de service, suisses, frotteurs, porteurs d’eau, marmitons, filles de garde-robe, regardant, sans aviser, les passans du Carrousel qui s’arrêtaient pétrifiés, le nez levé vers la façade du château.

La ville, en effet, avait su l’événement avec une instantanéité qui confond : un Parisien rapporte qu’à peine éveillé, ce Jour-là, vers huit heures, il était encore au lit, assoupi aux bruits familiers du matin, cris de colporteurs ou roulement des voitures de maraîchers « lorsqu’un murmure se fait entendre, semblable au mugissement de la vague poussée par la tempête[3] ; » il approche, augmente, se propage, les tambours battent le rappel ; bientôt des clameurs, des mots se distinguent. Toutes les fenêtres s’ouvrent : on se penche, un cri monte de la rue : le Roi est parti ! le Roi est parti ! La nouvelle est perçue partout en même temps comme le bruit d’une détonation : dans les rues du centre, aussitôt encombrées de foule, « le long des faubourgs mugissans, au seuil de chaque boutique, à la porte de chaque maison » les

  1. Bulletin de l’Observatoire de Paris, 21 juin 1791.
  2. Archives nationales D XXIXb 36.
  3. Mémoires du général baron Thiébault.