boutique est pleine, comme la rue ; paysans, amis ou parens des Sauce, voisines accourues « pour aider ; » l’escalier est au fond dans l’angle à gauche, et, à la file, on s’engage sur les degrés de planche étroits et obscurs : au premier étage, dans la chambre du devant, sont d’autres gens encore, silencieux, cherchant à voir, par la porte ouverte, la famille royale entassée dans l’étroite pièce du fond dont gardent l’accès deux paysans armés de fourches, le forgeron Druard et un manouvrier nommé Blandin.
Au milieu de cette pièce une table portant du pain, quelques verres ; le Dauphin et sa sœur dorment sur un lit, Mme de Tourzel est à côté d’eux, le front dans ses mains ; près d’elle, sont les femmes de chambre, Mme Brunier et Mme Neuville : devant l’une des fenêtres, Madame Elisabeth, debout, impassible ; au fond dans leur livrée jaune, les trois gardes du corps qui ont servi de courriers ; le Roi et la Reine causent avec deux officiers, Choiseul et Damas, en tunique verte à paremens carmin[1]. Sauce, timidement, se glisse…
— Sire… !
La scène a été notée par Choiseul, on ne peut rien changer à son récit.
Romeuf en traversant la première pièce, au moment d’aborder la Reine qu’il voit quotidiennement aux Tuileries, Romeuf s’arrête, recule, défaille… Bayon entre seul, brutalement : la fatigue, l’émotion lui serrent la gorge.
— Sire, vous savez… balbutie-t-il, tout Paris s’égorge… nos femmes… nos enfans sont peut-être massacrés… Vous n’irez pas plus loin… Sire… l’intérêt de l’État… Oui, Sire, nos femmes, nos enfans…
La Reine lui prend la main d’un geste énergique et lui montre le Dauphin et sa sœur, toujours endormis.
— Ne suis-je pas mère aussi ? dit-elle.
— Enfin que voulez-vous ? demande le Roi impatient.
— Sire… un décret de l’Assemblée…
— Où est-il ?
— Mon camarade le tient…
Il ouvre la porte et l’on voit Romeuf, appuyé contre la fenêtre de la première chambre, sanglotant ; il tient un papier à la main, qu’il présente, le front bas. La Reine le reconnaît.
- ↑ Ordonnance de 1786.