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l’amérique française.

l’ambition et l’activité entreprenante des Yankees. Quel beau gage nous assurait la possession légale (et la vente même de la Nouvelle-Orléans légalisait notre titre aux yeux des autorités américaines) de ces dépendances louisianaises, dont rien ne limitait au Nord et à l’Ouest l’indécise immensité, en sorte que leur possesseur pouvait étendre ses prétentions jusqu’au lac Winnipeg, d’une part, et de l’autre, jusqu’aux Montagnes Rocheuses ! Quel avantage y avait-il donc à se défaire d’un seul coup d’un pareil empire, à l’heure où celui en faveur de qui on s’en défaisait n’était point à même d’en apprécier l’énorme valeur ? Peu d’années plus tard, cette valeur eût doublé, triplé, quintuplé à ses yeux. Voulait-on l’éblouir, forcer sa reconnaissance ? Mais soixante millions à débourser, c’était quelque chose pour les États-Unis d’alors, et nous avons vu à quelle bonne fortune imprévue nous étions redevables de l’explosion d’enthousiasme reconnaissant qui se manifeste à travers les États-Unis d’aujourd’hui. En 1803, on ne pensait pas avoir de grands remerciemens à nous prodiguer, à l’occasion d’un marché jugé avantageux pour les deux parties. Sans la fantaisie de Saint-Louis se substituant à la Nouvelle-Orléans pour célébrer le centenaire louisianais, qui donc, en 1904, aurait songé à ces vagues « dépendances, » et qui donc aurait qualifié l’acte de cession de « seconde fondation des États-Unis ? » Oui, pour un tel résultat, il valait la peine de renoncer à la Louisiane, mais Bonaparte n’avait aucun motif d’y compter, et rien n’indique qu’en effet il y ait compté.

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En cette circonstance, le Premier Consul pécha, comme le commun des Français, par ignorance. Il ne savait pas la valeur de ce qu’il aliénait ; il connaissait la Louisiane, non les Illinois. Et voilà, pour tirer une morale pratique de cette trop brève étude, voilà le secret de toutes nos faiblesses coloniales. La lecture du livre de M. de Villiers confirme cette impression et lui donne une force toute particulière. De vaillans explorateurs ? nous les avons eus. De fidèles colons ? nous les avons eus. Des défricheurs et des commerçans ? nous pouvions les avoir. Ce qui toujours fit défaut, — à la nation comme à ses chefs, — ce fut la connaissance opportune de ses colonies. Leur étendue, leurs proportions, leur richesse, leurs intérêts, leur avenir, sur tout