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Lavergne avait des opinions réactionnaires. En vain faisait-on observer que des républicains éprouvés, et, à leur tête, Martin Nadaud, l’ancien ouvrier maçon, celui-là même auquel la ville de Guéret vient d’élever une statue, patronnaient la souscription et l’encourageaient de leurs deniers. Rien n’y fit. La municipalité demeura obstinée dans son refus. On avait accepté les libéralités de Lavergne, mais on ne voulait pas de sa statue. C’est toujours l’histoire d’Aristide, avec cette différence que l’ostracisme ne s’appliquait pas à l’homme, mais à son image, ce qui, après tout, est un progrès.

En apprenant cette exclusion, Léon Say se montra plus surpris que déçu : « Ils n’en veulent pas à Guéret, dit-il, eh bien ! nous le garderons à Paris. » C’est en effet dans la capitale, au milieu du jardin de l’Institut agronomique, restauré et agrandi, qu’a été érigée la statue proscrite par la Creuse. Le gouvernement d’alors, moins exclusif que la municipalité de Guéret, ne craignit pas de s’associer à l’hommage rendu à la mémoire de Lavergne, et le jour de l’inauguration du monument, le ministre de l’Agriculture, M. Viette, radical, mais homme d’esprit, fit un délicat éloge de l’économiste, du professeur, de l’écrivain. Léon Say avait raison ; encore que, de la sorte, le savant seul soit glorifié à l’exclusion de l’homme politique, la place de Lavergne est bien là où son image a été dressée, au centre de cet Institut agronomique, dont il a été l’un des fondateurs, au milieu de cette jeunesse laborieuse qu’il formait par son enseignement à l’étude de la science agricole, aux austères vertus de la vie rurale, à l’amour de la patrie !


ERNEST CARTIER.