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« déchiré les Gallois avec des ongles de fer. » Ce Robert de Bellesme n’avait point agi d’autre sorte que Robert de Maupas ou Robert de Rudlan, et le même témoignage ne conviendrait pas moins à Hugues le Loup et à tant d’autres. On conçoit que les Gallois soient entrés avec enthousiasme dans le grand complot des Saxons pour secouer le joug normand. En 1138, une prise d’armes générale est suivie d’une attaque des châteaux forts sur toute la ligne des frontières. Il y eut de terribles représailles. Mais ce n’est là qu’une interruption d’un instant dans le progrès irrésistible de la conquête. À la fin du XIIIe siècle, il y avait environ cent quarante de ces marches seigneuriales, lordships-marchers, où régnaient le désordre, l’arbitraire et la tyrannie.

Pourtant, la patrie galloise, pour amoindrie qu’elle fût, subsistait toujours. Dans la région du Nord-Galles, appelée communément Gwynedd (du vieux nom de Guenedota) se succédaient sans interruption les princes nationaux de la lignée de Cuneda. En eux s’incarnait « l’espérance bretonne, » c’est-à-dire, avec le souvenir de la gloire passée, le rêve d’une domination reconquise.

Cette contrée montagneuse, plus reculée et plus inaccessible que les autres, restait la citadelle de la puissance et de l’idéal gallois, l’asile sacré de l’inspiration des bardes. Elle était le foyer de l’indépendance ; et, de toutes parts, se tournaient vers ses princes, montaient vers la cime vénérée du Snowdon, les aspirations nationales encore vivaces sous toutes les contraintes. Les sujets mêmes des lords-marchers se réclamaient de cette suzeraineté contre laquelle ne prévalait pas, à leurs yeux, une domination qu’ils subissaient sans la reconnaître. Et la destinée de Galles rayonnait encore dans ce coin de terre où une foi invincible s’obstinait à la voir invaincue.

La conquête de 1282 vint changer tout cela. Elle n’est que le dernier acte du drame qui se jouait depuis deux siècles entre une race passionnée et un peuple positif, entre les chimères d’un vieux songe et les tangibles réalités de la force, entre l’idéalisme du Celte et la dure pratique de l’Anglo-Normand. L’enchanteur Merlin n’était pas de taille contre le bâtard de Normandie. Il n’a cessé de battre en retraite depuis sept fois cent années, car les Saxons et les Angles ont, dès ce temps, commencé de camper sur son immense domaine. Mais ce n’était rien auprès des nouveaux ennemis. Voici qu’ils l’ont poursuivi jusque dans la contrée