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vivre. Qu’est-elle donc devenue, l’âme héroïque et obstinée, qui a déroulé à travers dix siècles d’histoire le drame de sa résistance ? Voici que le dénouement approche, et nous l’attendons très sombre, après ce quatrième acte d’agonie. Il va jaillir imprévu, d’un artifice de la nature. Persécutée, épuisée, l’âme galloise a senti la lutte user son énergie et briser son effort. Alors elle s’est repliée sur elle-même, et elle a attendu, dans une immobilité presque pareille à la mort, un réveil qui ressemble à une résurrection.


V

J’ai bien souvent rêvé près des châteaux de Galles. La domination anglaise les a dressés dans leur dure beauté et leur vigueur de pierre, pour opprimer et pour contenir. Mais après des siècles, les forteresses ont cédé. Conway a desserré son étreinte, ouvert sa ceinture de tours, qui enclôt aujourd’hui une petite ville galloise, active et prospère. A Carnarvon, l’herbe emplit les cours et l’antique cité mène sa vie paisible autour de la masse inoffensive qu’elle semble montrer avec orgueil, désarmée, au voyageur. D’autres châteaux s’écroulent, retenus seulement par le lierre sorti du sol, de ce sol toujours vivant, qui a repris peu à peu ce que leur hostilité tenta d’aliéner de lui-même, et vaincu son vainqueur.

Ces images évoquaient pour moi la vitalité de la nation galloise. A la force matérielle s’opposa une force invisible, qui n’eut pas besoin de donjons ni de murailles : vous chercheriez en vain son architecture. La résistance cambrienne n’éleva point de forteresses, que l’ennemi peut prendre et que le temps ne manque pas de ruiner. Plus solidement que sur la pierre, elle s’appuya sur la fidélité des âmes ; et l’éclair du rêve breton défia les épées. Car la seule énergie immortelle était du côté de Galles ; et nous la voyons reparaître, plus brillante après une longue éclipse, dans sa jeunesse renouvelée… Elle éclate aux devantures des libraires où s’étalent, innombrables, les livres, brochures, revues et journaux gallois. Elle épanouit dans chaque province les concours de poésie et de musique ; et, au-dessus de ces eisteddfodau particulières, la grande eisteddfod nationale, comme celle de Cardiff en 1898, rallie annuellement, autour des Gallois empressés à en