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confier le soin de lancer une affaire magnifique et véreuse. Il s’agit d’un canal dont Lambercier est propriétaire, canal où ne coulera jamais une goutte d’eau, mais où la spéculation peut couler à pleins bords. Lambercier remettra à Belgrand les fonds nécessaires à l’achat d’un certain nombre de députés. Belgrand aura soin de détourner l’argent à son profit. Et voilà d’où vient l’argent. — Au troisième acte, nous avons pu croire que l’heure de la débâcle avait sonné pour Belgrand. Toutefois il en sera quitte pour la peur et nous n’aurons pas la satisfaction de voir le vice puni. Le commissaire aux délégations judiciaires peut venir perquisitionner chez Belgrand ; celui-ci a eu le temps de mettre en lieu sûr ses papiers compromettans. On ne trouvera rien. Ceci est plus grave. Furieuse d’avoir été trompée pour une ancienne maîtresse, Mme Richter menace Belgrand de l’abandonner. Elle partie, il sent bien que c’est l’auxiliaire indispensable qui lui manque et donc la fin de tout. Mais ce départ était un faux départ. Ces deux êtres sont faits pour s’entendre et nécessaires l’un à l’autre. Une nouvelle coquinerie va renouer plus étroitement leur destinée commune. Ils s’unissent pour faire chanter supérieurement Lambercier : il y a encore de beaux jours pour l’esbroufe.

L’impression que laisse cette pièce est assez décevante. L’exécution y est fort inférieure aux intentions et les moyens continuellement insuffisans. Belgrand est un filou, certes, mais qui ne se distingue par aucune nuance appréciable de ses confrères en chantage et en escroquerie. En quoi consiste le secours que lui prête Mme Richter et quelle est sa part dans l’esbroufe commune ? cela n’est pas davantage expliqué. Ce type d’aventurière exotique est tout particulièrement inexistant. Quant aux comparses dont ils sont entourés, c’est un lot de parasites qui représentent assez imparfaitement la société parisienne. Nous ne voyons ni l’esbroufeur ni ses dupes. Un maître chanteur, un cortège de décavés, de fêtards, de filles, on nous a déjà bien souvent montré au théâtre tout ce vilain monde. Il est peu plaisant ; la pièce est languissante : en plus d’un endroit elle ennuie.

On peut louer M. Tarride pour la bonhomie avec laquelle il interprète le rôle de Belgrand, et Mlle Suzanne Després pour la nonchalance étudiée avec laquelle elle joue celui de Mme Richter.


RENE DOUMIC.