Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/105

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ans, ce qui ne devait pas les empêcher de vivre bien ensemble jusqu’au jour où la marquise de Villette, fort charmante et séduisante personne, épousa l’ancien ministre Bolingbroke, et alla vivre à Londres, où elle tint une place brillante dans la société anglaise.

La petite Marthe-Marguerite ne passa au château de Mursay que les années de sa première enfance. Elle avait neuf ans quand Mme de Maintenon profita de l’absence de M. de Villette, retenu à la mer, pour ourdir un complot avec une de leurs parentes communes, Mme de Fontmort, qui avait passé si souvent de la religion prétendue réformée à la catholique, et de la catholique à la prétendue réformée, que Constant d’Aubigné, le père de Mme de Maintenon, disait assez plaisamment ; « Dieu lui-même, qui sait tout, ne sait pas de quelle religion est ma cousine. » Le résultat de ce complot fut de faire partir Marthe-Marguerite de Mursay, à l’insu de sa mère, qui était cependant catholique, » et de l’amener à Saint-Germain en compagnie de deux cousines à elles, également huguenotes. Là, on entreprit leur conversion à toutes trois. Les deux cousines opposèrent une résistance « infiniment glorieuse au calvinisme, » dit Mme de Caylus dans ses Souvenirs. Quant à elle, on sait en quels termes plaisans elle a raconté sa propre conversion. « Je pleurai d’abord beaucoup, mais je trouvai le lendemain la messe du Roi si belle que je consentis à me faire catholique, à condition que je l’entendrois tous les jours et qu’on me garantiroit du fouet. C’est là toute la controverse qu’on employa et la seule abjuration que je fis[1]. »

Cet enlèvement d’une fillette de neuf ans, et cette conversion opérée à l’insu des parens, contre la volonté formelle de l’un d’eux, ont été fort reprochés à Mme de Maintenon. Nous n’entreprendrons point de la défendre. Nous ferons seulement observer qu’elle usait, vis-à-vis de son cousin germain, exactement du même procédé dont la sœur de son père avait usé vis-à-vis d’elle-même, alors que celle-ci, ayant reçu d’une parente pauvre la charge d’une enfant baptisée catholique, elle ne s’était fait aucun scrupule de l’élever dans une religion différente de celle de sa mère, car on sait que Mme de Maintenon était demeurée huguenote jusqu’à treize ans. En ce temps-là, les droits des parens n’étaient guère respectés. Le sont-ils beaucoup plus aujourd’hui,

  1. Souvenirs. Édition Raunié, p. 23.