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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/132

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Ce goût de Mme de Maintenon pour la solitude ne l’empêche pas, au bout de quelques mois surtout, de témoigner quelque désir d’être instruite de ce qui se passe au dehors. « Il est vrai, écrit-elle, que je ne puis être indifférente sur l’état des affaires générales. J’étois accoutumée à en être occupée. » Et dans une autre lettre : « Quel malheur d’être sensible au bien public et particulier ! Mais change-t-on dès qu’on est en retraite ? » Aussi sent-on peu à peu se glisser dans sa vie un ennemi contre lequel il lui faut lutter : l’ennui : « Rien n’est ennuyeux comme ces visites qui filent ; on s’ennuie moins quand on n’attend personne, » et dans une autre lettre : « Je me porte très bien et fais mon possible pour m’amuser : vous n’êtes guère plus gaie où vous êtes, et j’en suis bien fâchée. » Elle prêche en effet Mme de Caylus contre la tristesse : « Surmontez-vous là-dessus, ma chère nièce, la tristesse n’est bonne ni pour ce monde ici, ni pour l’autre. » Mais, à certains jours, elle-même semble s’y abandonner. « Ne vous inquiétez pas de moi. Qu’ai-je à faire de meilleur que de languir. » Apprenant la maladie d’une personne à qui elle faisait parvenir depuis longtemps des secours, elle va jusqu’à dire : « Je plains Mme de Barneval si elles perdent leur mère. Je ne puis plaindre ceux qui meurent. »

Si les occupations lui manquaient, les préoccupations ne lui manquaient pas. D’abord les préoccupations financières. Personnellement, elle ne possédait rien que Maintenon, dont le revenu était mince. Elle n’avait rien mis de côté, et quand elle arriva à Saint-Cyr, elle n’avait pas de quoi payer le deuil de ses domestiques. Le Régent lui avait bien promis de lui conserver les 48 000 livres de pension que lui servait le Roi, sur lesquels elle avait abandonné 15 000 livres à Mme de Caylus. Mais cette pension lui serait-elle exactement payée ? Elle s’en inquiète, non pour elle-même, qui n’a pas de besoins, mais pour les malheureux sans nombre qui vivaient de ses aumônes et de ses pensions, pour les couvens pauvres auxquels elle envoyait des subsides tirés de sa cassette particulière ou de celle du Roi, et pour lesquels elle craint de ne plus rien obtenir étant « timide à demander. » Son « imbécillité sur les affaires » l’effraye, car, dit-elle, » vous savez que je ne vivois pas pour moi et je ne sais déjà plus où j’en suis. » Elle tremble aussi pour Saint-Cyr, ayant appris qu’en plein conseil de Régence, l’intendant des finances, Fagon, fils de l’ancien médecin du Roi, aurait dit. qu’avec l’argent que coûtait Saint-Cyr,