Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/149

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Un bon philologue doit pouvoir dire avec le poète ancien : « Rien de ce qui est humain ne m’est étranger[1]. »


II

En 1836, Brandis, que Curtius avait eu pour professeur à Bonn, fut appelé, en qualité de lecteur, auprès du roi de Grèce Othon Ier, et il emmena son ancien élève, alors âgé de vingt-deux ans, pour lui confier l’instruction de ses deux fils aînés. Un voyage en Grèce, à cette époque, était une affaire longue et incommode, surtout lorsqu’on partait du cœur de l’Allemagne. Les voyageurs se donnèrent rendez-vous à Francfort, où ils montèrent dans une calèche couverte à trois sièges, Curtius avec ses deux élèves sur le siège de devant, ensuite Mme Brandis accompagnée d’une parente, Mlle Ida Hengstenberg[2], tout au fond, le professeur avec la cuisinière, et, derrière et au-dessus, une telle montagne de bagages qu’on avait quelquefois de la peine à entrer par la grande porte des hôtels. Au reste, dit Curtius, « la voiture est confortable, et elle marche assez doucement pour qu’on puisse lire à son aise. Le matin, on lit d’abord un chapitre de la Bible, puis on chante un cantique ; Mme Ida a une très belle voix. Une grande partie de la journée est consacrée à apprendre l’italien. » On s’était mis en route dans les premiers jours de janvier ; vers le milieu de février, on arriva à Ancône, d’où partait alors le bateau de Corinthe. La fin du voyage se fit à cheval, le long de la côte qui contourne le golfe d’Egine.

La première lettre d’Athènes est datée du 17 mars 1837. A l’enchantement des souvenirs classiques s’ajoutait l’ivresse d’un printemps méridional. « Certains villages de l’Attique, écrit Curtius au retour d’une excursion au Pentélique, sont d’une beauté incomparable. Tout fleurit à la fois. Les habitans sont étendus par terre devant leurs maisons. Au-dessus de la verdure éclatante des arbres s’étend le ciel d’un bleu pur et profond. » Quand vient la saison chaude, la vie en plein air est bornée aux heures du soir. « C’est alors la promenade générale. Les Grecs

  1. Alterthum und Gegenwart, 1er volume.
  2. Ida Hengstenberg était la sœur d’Ernest-Wilhelm Hengstenberg, professeur à la Faculté de théologie de Berlin, qu’on a défini « le plus orthodoxe des savans et le plus savant des orthodoxes. » Elle se maria l’année suivante, à Athènes, avec le consul général des Pays-Bas.