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l’enseignement, faire pénétrer partout un esprit de clarté et de méthode, de noblesse et de désintéressement. « Le monde moderne, dit-il dans un de ses discours, s’est transformé au contact du monde ancien. Il y a des peuples dont on peut étudier l’histoire, sa vie durant, sans cesser d’être ce qu’on était ; mais on ne saurait se plonger dans l’étude de l’art grec sans éprouver en soi-même une renaissance[1]. » Il considérait l’hellénisme et le christianisme comme les deux fondemens de la culture moderne. « Ils proviennent, dit-il ailleurs, de deux peuples anciens qui, ayant perdu leur existence matérielle, ont légué leur âme à l’humanité. Ils ont encore cela de commun, qu’ils semblent par momens déchoir dans la considération des hommes ; ils ressemblent à ces fleuves de la Grèce qui, descendus de la montagne, disparaissent dans un gouffre, continuent quelque temps leur marche obscure sous une couche de calcaire desséché, puis rejaillissent soudain comme d’une source nouvelle et font naître autour d’eux une végétation abondante[2]. »

Ernest Curtius mourut le 11 juillet 1896. Il ne cessa d’enseigner que pendant les derniers mois de sa vie. Dans un discours familier qu’il prononça devant un groupe d’amis, le 2 septembre 1893, aux bains de Gastein, pour le quatre-vingt-neuvième anniversaire de sa naissance, il jette un regard en arrière sur sa jeunesse et son âge mûr. « Les carrières des hommes sont de deux sortes, dit-il ; les uns suivent une ligne droite qui leur ouvre un horizon de plus en plus vaste ; les autres rencontrent des obstacles et sont jetés d’un chemin dans un autre : j’ai toujours marché dans la même direction. » Il rappelle ensuite que, tout jeune, il a puisé le goût des lettres grecques aux conversations de son père, qu’il s’y est fortifié sous la direction d’Otfried Muller et de Bœckh, qu’il a pu cueillir les meilleurs fruits de leurs leçons sur le sol même de la Grèce, et qu’enfin il lui a été donné, comme faveur suprême, de continuer leur enseignement dans deux universités et de faire à son tour des disciples. Ainsi, ajoute-t-il, tout a été harmonieusement combiné dans sa vie pour une fin unique, comme si une Providence spéciale avait veillé sur lui.


A. BOSSERT.

  1. Das Mittleramt der Philologie : Alterlhum und Gegenwart, 1er volume.
  2. Die Bürgschaften der Zukunft : Alterthum und Gegenwart, 3r volume.