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il l’avait cherché d’abord rue Neuve-des-Mathurins[1], puis rue des Petits-Augustins, où il avait appris, du portier, que le président venait de sortir, Laporte avait pris le parti de rentrer chez soi, se promettant de n’en plus bouger de la journée ; c’est là que l’avait touché le décret de l’Assemblée nationale.

Les députés frémissaient d’impatience en écoutant ces prolégomènes dont la simplicité contrastait avec la grandeur des événemens. Beauharnais posa la question qui brûlait toutes les lèvres.

— Êtes-vous porteur du mémoire ?

— Il n’est pas sorti de ma poche, répondit Laporte.

— Par qui vous a-t-il été remis ?

— A huit heures ce matin, par un domestique qui est attaché à l’appartement du premier valet de chambre du Roi[2].

La majesté royale exerçait encore tant de prestige que nul n’osait demander la lecture de ce mémoire ; tous avaient pourtant un grand souci de le connaître : on regardait Laporte comme s’il eût porté la foudre et, tout en souhaitant qu’elle éclatât, nul ne voulait assumer la responsabilité du mot qui allait provoquer la détonation. Le président lui-même, qui, ce jour-là, montra tant de dignité et une si noble présence d’esprit[3], ne se déterminait pas à poser la question décisive : il temporisait.

— Connaissez-vous, demanda-t-il à Laporte, le nom du domestique qui vous a remis le paquet ?

Et l’intendant, à la façon un peu ironique d’un homme étonné qu’on ne lui demande, en semblable circonstance, que le nom d’un valet, répliqua :

— Je l’ignore, mais il serait facile de le savoir, si l’Assemblée en donnait l’ordre.

— Lisez le mémoire ! insinuèrent quelques voix anonymes...

Mais Beauharnais, de nouveau, esquiva, s’adressant à Laporte :

— Avez-vous le billet du Roi ? dit-il.

— Oui, monsieur le président.

Un silence embarrassé suivit. Que faire ? Devait-on céder à la curiosité, et exiger la communication de l’écrit royal ? Valait-il

  1. C’est là qu’était l’hôtel de Beauharnais, dont la façade existe encore, dans la cour du n° 32 de la rue des Mathurins, et porte sur une table de marbre le mots : Hôtel de Beauharnais.
  2. Archives parlementaires, 1re série, XXVII, séance du 21 juin 1791.
  3. Mémoires de Barère, t. I, p. 322.