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Déclaration du Roi adressée à tous les Français, à sa sortie de Paris.

Et, sans arrêt ni pause, il donna lecture de ce long devoir, écrit sur un mode monotone, et assez semblable à un prône. A mesure que s’égrenait cette suite de maladroites récriminations, l’angoisse étouffante qui, dès les premiers mots, avait étreint l’Assemblée se dissipait progressivement. Les partis s’observaient ; des regards chargés de haine s’échangeaient des royalistes atterrés aux « avancés » exultant d’une joie contenue. Pourtant l’impression dominante était une sorte de gêne, l’étonnement déçu de gens qui, les nerfs tendus, attendent un formidable coup de tonnerre et ne perçoivent que la détonation grêle d’un pistolet d’enfant. Le paragraphe où le Roi se plaignait « du manque de commodités dans ses appartemens » fut écouté avec une réserve humiliée ; des rumeurs coururent quand passèrent ses doléances sur la modicité de la liste civile, — vingt-cinq millions, insuffisans « à la splendeur de la maison qu’il doit entretenir pour faire honneur à la dignité de la couronne de France. » Jamais ne s’était affirmé davantage le malentendu de la Révolution : ces bourgeois qui avaient tant gagné aux réformes effectuées ne pardonnaient pas une plainte à celui qu’ils avaient dépouillé et dont la situation leur semblait, de bonne foi, encore aussi enviable que, sincèrement, il la jugeait, lui, avilie.

La lecture se prolongea pendant une heure. Une seule interruption : quand vint l’allusion à « la diminution des ressources de la cassette royale pour le soulagement des malheureux, » une voix de gauche cria :

— ... des malheureux courtisans !

Le message, au reste, ne formulait que des rancunes : pas une menace, pas une indication des projets du Roi ni des moyens qu’il comptait employer pour reconquérir son royaume ; et, de son silence, son départ prenait l’allure d’une démission, de la fugue d’un employé mécontent du régime de son bureau, Avant même que Régnier eût terminé sa lecture, toute l’Assemblée, complètement rassurée, respirait à l’aise ; rien de tragique ne pouvait venir d’un tel adversaire, et c’est avec un facile courage que, dédaigneusement, sur la proposition de l’abbé Grégoire, les députés passèrent à l’ordre du jour. On reprit la discussion du Code pénal, pour la forme, car, dès les premiers mots, des voix réclamèrent une heure de repos. La séance, suspendue à quatre