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national que le Russe, dont la domination, si abhorrée qu’elle ait été, est du moins celle d’un peuple slave. La crise actuelle les a trouvés hésitans et divisés : les uns, nombreux surtout, parmi ceux qui ont quitté le vieux sol national, ont cru reconnaître dans le Japon le vengeur toujours espéré ; les autres, n’osant attendre de l’avenir une résurrection de l’indépendance nationale, estiment que les Polonais peuvent se faire une place comme membres loyaux du grand empire russe et comme l’un des élémens slaves de la monarchie austro-hongroise, tandis qu’ils devront toujours soutenir la lutte séculaire contre le germanisme envahissant. Ceux-là ont saisi l’occasion de la guerre pour témoigner au tsar qu’ils ne sont pas des ennemis quand même et qu’ils n’ont pas entièrement abjuré tout sentiment de fraternité slave.

En Hongrie, à mesure que disparaissent les hommes de la génération que Paskevitch a rejetée, sanglante et meurtrie, aux pieds du Habsbourg, la violence du sentiment anti-russe va s’atténuant ; la guerre vient de prouver qu’il est encore assez fort pour provoquer, dans le public et dans la presse, des manifestations hostiles à la Russie et des vœux pour la victoire du Japon ; un groupe d’étudians a même invoqué, afin de stimuler le zèle des Magyars pour la cause nippone, une parenté de race, des affinités touraniennes !

Une longue histoire, où l’unité nationale a été forgée de toutes pièces par la puissance de la dynastie et la force du pouvoir central, a rendu l’Allemand docile aux lois et naturellement déférent à tout ce qui émane de l’Etat ; nulle part, l’opinion publique n’est moins frondeuse et ne se règle plus fidèlement sur l’attitude officielle. Aussi est-il souvent malaisé de discerner les tendances réelles et les préférences secrètes du peuple ; dans le conflit actuel, cette difficulté est encore accrue du fait qu’entre le Russe et le Japonais, les sympathies de l’Allemand ont réellement hésité à se déclarer. Un instinct de race, né du souvenir de longs siècles de luttes, fait du Russe, champion du slavisme, l’adversaire naturel de l’Allemand et du germanisme. Admirateurs intéressés et parfois exclusifs de la deutsche Cultur qu’ils regardent comme la civilisation idéale, les Allemands ne pardonnent pas aux Russes d’en méconnaître les bienfaits, de l’avoir chassée des provinces baltiques et de la combattre en Finlande ; la résistance des Polonais de Posnanie à la culture