Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/212

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

triomphe du Japon un péril européen. Mais, en général, les socialistes, les internationalistes et les « intellectuels » ont manifesté leurs préférences pour les Nippons. L’un des savans belges les plus distingués disait à un rédacteur du Soir : « Les Japonais défendent en Asie la cause de la civilisation, du progrès et de la liberté contre l’exécrable régime moscovite. » On ne remarque pas assez que ce sont généralement les « savans » qui affirment le plus volontiers ce qu’ils ne sauraient prouver ! Chez nos voisins belges, gens réfléchis et d’esprit positif, les intérêts économiques ont été, dans la crise actuelle, des conseillers plus écoutés que l’esprit de système ou les visions humanitaires. Le Japon est, pour l’industrie belge, notamment pour la verrerie, un excellent client ; quelques jours avant la guerre, une réunion de grands industriels eut lieu sous la présidence du ministre des Affaires étrangères et en présence du ministre du Japon ; d’autre part, plusieurs des grandes puissances financières du royaume ont des intérêts considérables en Russie et souhaitent peut-être d’être chargées de la négociation de nouveaux emprunts : sérieuses raisons, pour le gouvernement neutre de la Belgique, de garder et d’imposer, dans la mesure de ses moyens, une neutralité effective à l’opinion et à la presse elle-même.

Parmi les nations que l’offensive des Japonais a trouvées d’avance rangées parmi les adversaires de la Russie, l’on nomme souvent ensemble la Grande-Bretagne et les États-Unis ; mais ce serait faire fausse route que d’attribuer à des mobiles identiques une communauté de sentimens qui, elle-même, est moins complète qu’elle ne le paraît au premier abord. Chez les deux branches de la famille anglo-saxonne, ni les préférences des peuples n’ont été déterminées par les mêmes causes, ni les attitudes des gouvernemens inspirées par les mêmes préoccupations politiques.

En Angleterre, la presse et le public, presque sans exception, ont manifesté une aversion profonde et spontanée pour la Russie et des sympathies enthousiastes pour le Japon. La foule de Londres et des grandes villes, la foule des soirs de Ladysmith et de Mafeking, la foule des meetings impérialistes et des music-hall, acclame le « cher petit Japon » et se délecte aux dépêches sensationnelles, rédigées pour lui plaire, qui lui annoncent quelque exploit des torpilleurs ou des cuirassés japonais. Pour le bourgeois ou l’ouvrier anglais, le japonais est un allié, un