Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/437

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

s’était ruée sur eux dans l’intention de « les garrotter aux roues de devant du carrosse » et de les écraser sous la voiture en marche ; déjà, quelques exaltés avaient arrêté les chevaux, et Barnave s’était vu obliger de mettre pied à terre et d’employer toute l’autorité de son caractère pour forcer ces monstres à se désister de leur affreux projet[1].

On redoutait donc, pour ces trois hommes, la rentrée dans Paris, qui s’annonçait menaçante ; Valori, dont le fantaisiste Précis historique ne doit être consulté qu’avec grande prudence, rapporte ici un beau discours à la Tite-Live qu’aurait prononcé le Roi : « Témoins et compagnons de notre infortune, vous en partagez la douleur... » A l’en croire, Pétion aurait proposé de déguiser les trois gardes et de les faire évader, sous prétexte de leur épargner la colère de Paris, mais, en réalité, « dans l’intention secrète de les faire assassiner par derrière... » Il est probable que, le souper fini, les commissaires de l’Assemblée et le général Mathieu Dumas se réunirent à la famille royale et qu’on parla de la journée du lendemain. Il paraît certain que la Reine insista pour que les gardes conservassent leur livrée. « Le Roi, dit-elle, doit rentrer à Paris avec sa famille et ses gens comme il en est sorti[2]. » Pétion ne parle pas de ce conciliabule, auquel peut-être il n’assista pas.

Le samedi, 25 juin, dès cinq heures, tout le monde était debout au Palais épiscopal de Meaux. Le Roi, en faisant sa toilette, jugea son linge si sale qu’il emprunta une chemise à l’un des huissiers de l’Assemblée.

On servit à la famille royale un plat d’œufs, de la crème, du sucre et des pains mollets. Le maître de poste eut à fournir vingt-quatre chevaux, onze pour les deux voitures du Roi, huit pour deux voitures de suite, deux bidets, l’un pour un officier de service, l’autre pour La Tour-Maubourg qui ne se souciait pas de faire son entrée à Paris dans le cabriolet des femmes de chambre[3] ; enfin on attela de trois malliers le chariot où les Varennois triomphans s’entassèrent[4]. Quant à Mathieu Dumas, il s’adjugea pour la journée le beau cheval l’Argentin que, quatre jours auparavant, l’officier de Eriges avait laissé à Meaux[5]. A six

  1. Précis historique du comte de Valori.
  2. Souvenirs de Mathieu Dumas.
  3. Nouvelle Revue, 15 mai 1902. Louis XVI à Varennes.
  4. Archives nationales, M. 664.
  5. Souvenirs de Mathieu Dumas.