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plus loin vers le nord et vers l’ouest qu’ils opèrent leur concentration et qu’ils attendent l’ennemi. Ils l’attendent, disons-nous : en effet, il n’est pas probable que leur stratégie puisse consister, comme quelques personnes le pensent, à reculer d’une première ligne sur une seconde, puis d’une seconde sur une troisième, et ainsi de suite, de manière à obliger l’ennemi à allonger indéfiniment sa ligne d’opération et à éparpiller ses forces. Il serait douteux que les Japonais se prêtassent complaisamment à cette manœuvre. À un certain moment, ils s’arrêteraient, et, à leur tour, ils attendraient l’ennemi. Pendant ce temps, ils feraient le siège de Port-Arthur, et comme une place de guerre investie de toutes parts finit toujours par succomber lorsqu’elle n’est pas secourue, on voit à quelles conséquences fatales s’exposerait le général Kouropatkine s’il se refusait trop longtemps à livrer bataille. La chute de Port-Arthur ne serait peut-être pas un désastre matériel d’une gravité extrême ; mais l’effet moral en serait immense. Elle serait considérée à bon droit comme un grand échec pour la Russie, et il serait très possible, très vraisemblable même, qu’elle produisît dans l’imagination du monde jaune un ébranlement profond. Les Russes, — nous en avons su autrefois quelque chose, — soutiennent un siège avec beaucoup de sang-froid et de ténacité. Le souvenir de Sébastopol est resté vivant dans toutes les mémoires. Cependant Sébastopol a fini par être pris, malgré l’héroïsme de ses défenseurs, parce qu’il n’a pas été secouru, ou plutôt parce que les armées envoyées pour le secourir ont été défaites. C’est à l’Aima que s’est décidé le sort de Sébastopol : de même le sort de Port-Arthur sera réglé sur le point encore ignoré de la Mandchourie où aura lieu le choc décisif entrâtes Russes et les Japonais. Le général Stœssel, qui commande la place, s’en est parfaitement rendu compte, s’il a tenu à ses troupes le langage que lui prêtent certains journaux et qui peut se résumer ainsi : — Quoi qu’il arrive, gardez votre sang-froid et tenez bon jusqu’au moment où on viendra nous dégager. — La ville, en effet, est aujourd’hui bloquée du côté de la mer : les passes du port sont obstruées, et ce qui reste de la flotte russe est « embouteillé, » suivant l’expression usitée depuis la guerre hispano-américaine. Sur terre, une armée japonaise a débarqué à Pitse-Ouo, et on a cru au premier moment que les communications avec la Mandchourie étaient coupées. Il parait qu’elles ne le sont pas, ou qu’elles ont été rétablies ; mais il est à craindre que ce ne soit qu’un répit. Port-Arthur sera bientôt séparé du reste du monde. On ignore quelle est la force de la garnison qui y est restée : elle est sans doute