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dans l’esprit de Morny s’était opéré dans le sien. Effrayé du décousu, des témérités, des contradictions, des aveuglemens de la politique extérieure, il s’était convaincu, comme son prédécesseur, que plus de liberté accordée au Corps législatif était l’unique moyen de contraindre l’Empereur à plus de sagesse. Néanmoins, s’il m’avait constamment témoigné une cordiale sympathie, il ne m’avait pas initié à ses préoccupations. Aussi fus-je fort surpris lorsque je reçus dans ma solitude son invitation.

Le 31 décembre 1866, j’étais dans son cabinet. Il ouvrit l’entretien en disant qu’à Compiègne, il était rentré en conversation d’amitié avec l’Empereur. Il croyait comme moi que l’Empire ne pouvait se consolider que par la liberté, et il avait engagé l’Empereur à faire un nouveau pas vers le régime constitutionnel. Après de longues hésitations, l’Empereur s’y était décidé, et les mesures suivantes avaient été arrêtées : envoi des ministres à la Chambre comme commissaires ; suppression du ministère d’État ou plutôt réduction à ce qu’il avait été d’abord ; retrait de l’Adresse et remplacement par le droit d’interpellation ; suppression des journaux subordonnée à certaines garanties telles que l’intervention du Conseil d’État. Il fit ressortir l’importance de ces réformes, surtout de l’envoi des ministres à la Chambre, qui lui paraissait marquer un retour décidé au gouvernement de la nation par elle-même. « Pour que cela s’accomplisse, dit-il, il faut que vous nous aidiez. » Je répondis : « Ce que vous proposez reste en deçà de mon programme : cela y conduit néanmoins ; je suis donc disposé à vous aider. — Mais il faut que vous nous aidiez efficacement, et, pour mettre les pieds dans le plat, je vous dirai (en prononçant ces mots, il appuyait sur chaque syllabe et me regardait dans les yeux), je vous dirai que l’Empereur m’a chargé de vous offrir le ministère de l’Instruction publique, avec délégation générale à la Chambre, en qualité d’orateur du gouvernement. — Si je désirais entrer aux affaires, aucun ministère ne siérait mieux à mon humeur et à mes études que le ministère de l’Instruction publique. D’ailleurs, si je le croyais nécessaire au service de mes idées, je consentirais à remplir les fonctions de garde champêtre. Seulement, je suis très résolu à ne pas devenir ministre : je ne puis vous promettre mon concours que comme député. » Je lui soumis alors les argumens que j’avais exposés autrefois à Morny. « Cela ne me convainc pas, riposta-t-il ;