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IV

Le 10 janvier, à cinq heures du soir, l’huissier Félix m’introduisait dans le cabinet de l’Empereur au rez-de-chaussée sur la cour. L’Empereur vint au-devant de moi en me tendant la main : « Je vous remercie, Sire, lui dis-je, de la confiance que vous me témoignez. — Et moi, de vos sentimens à mon égard. » Il m’interrogea sur la situation ; je la lui décrivis sans ménagement, lui montrai les intérêts alarmés se demandant ce que serait demain, ses adversaires plus ardens, ses amis désemparés, un sentiment d’humiliation générale et surtout la crainte d’un danger prochain, dont on s’effrayait d’autant plus qu’on ne savait le préciser. « Le ressort principal de votre gouvernement, Sire, a été la crainte ou la confiance qu’inspirait la vigueur de volonté de Votre Majesté ; on vous croit malade, affaibli. Si vous ne voulez pas que le malaise s’accroisse et devienne un péril sérieux, il est urgent que vous affirmiez votre initiative par un acte résolu. Vous ne pouvez le faire par la guerre, faites-le par des mesures libérales audacieuses, car l’immobilité, malgré ses dangers, malgré ses inconvéniens, serait préférable à de petites mesures timides.

— Mes renseignemens sur la situation, me dit l’Empereur, sont conformes aux vôtres ; mais quelles sont les mesures libérales que vous me conseillez ? — Avant tout l’affirmation de la paix. Placez au ministère des Affaires étrangères un ministre dont les sentimens pacifiques soient notoires en France et à l’étranger, et efforcez-vous par tous les moyens possibles, momentanément au moins, de renfermer la réorganisation militaire dans les limites du budget et du contingent actuel. » Il répondit : « Une réorganisation sérieuse est indispensable ; cette nécessité m’est apparue en Italie : c’est l’insuffisance de notre armée et l’impossibilité d’en avoir une seconde sur le Rhin, qui m’a contraint à la paix de Villafranca. Comment rester inerte après les enseignemens de la dernière guerre ? Je sais que mon projet est impopulaire, mais il faut savoir braver l’impopularité pour remplir son devoir. » — Je ne contestai pas la nécessité d’une réorganisation sérieuse de notre mécanisme militaire. Seulement j’ajoutai : « Votre Majesté a réalisé la plus urgente des réformes en adoptant le fusil Chassepot ; il en est d’autres non moins nécessaires ;