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Page:Revue des Deux Mondes - 1904 - tome 21.djvu/537

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Rouher. Je consentis. Enfin, debout, au moment de le quitter, je lui dis : « Je suis heureux de la grande détermination que va prendre Votre Majesté. Qu’elle compte sur mon dévouement ! — J’y compte absolument, » répondit-il. Et il répéta en appuyant : « Je n’accepte d’être privé de votre concours actif que d’une manière momentanée. »


V

Le 11, à cinq heures, Pietri me conduisit auprès de l’Impératrice. Elle insista sur l’inopportunité : « Je comprenais le décret du 24 novembre rendu en pleine force ; un nouveau décret, qui aurait l’air de parer à une liquidation, me semble une cause d’affaiblissement. — Votre argument, Madame, répondis-je, porte beaucoup plus loin que vous ne pensez, car sa véritable conclusion serait non d’ajourner, mais de ne rien faire jamais ; plus vous retarderez, plus vous paraîtrez céder à une nécessité humiliante. — Cela me frappe, » dit-elle. Au contraire, elle n’admit aucune de mes objections à la loi militaire : avec une connaissance très précise du sujet et une éloquence véritable, elle m’expliqua qu’une réforme était urgente, qu’on avait trop tardé ; c’était sa conviction depuis 1859 : « En vue d’une attaque sur le Rhin, mon oncle Jérôme voulut alors me faire signer un décret de mobilisation de 300 000 gardes nationaux ; je ne voulus pas, malgré l’avis de la majorité des ministres, consentir à signer là, devant l’Europe, un aveu de notre impuissance militaire. J’écrivis à l’Empereur, et la paix de Villafranca fut conclue ; il ne faut pas que nous nous retrouvions un jour dans une situation semblable ; l’Empereur donne une preuve de plus de son dévouement à la France en se créant des difficultés dans le présent pour assurer l’avenir. »

En quittant l’Impératrice, je laissai entre les mains de Pietri, pour le remettre à l’Empereur, un résumé précis des idées que je lui avais soumises. Le lendemain, je reçus la réponse suivante écrite tout entière, y compris la suscription, de la main de Napoléon III : « Je vous remercie, monsieur, de la lettre que vous m’avez écrite et qui contient le résumé aussi clair que précis de notre conversation. Notre entretien m’a laissé la plus douce impression, car c’est pour moi une grande satisfaction de causer avec un homme dont les sentimens élevés et patriotiques planent