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présider. » Quand il eut proféré, d’une voix émue, ces derniers mots, il descendit du fauteuil. La majorité, que Rouher surveillait et retenait du regard, resta immobile, muette, visiblement troublée ; au contraire, les députés de l’opposition descendirent de leurs bancs et vinrent serrer la main de l’homme de bien qui les quittait. Ce fut sa récompense ; on se rappela sa loyauté, son esprit de justice et de conciliation, son libéralisme, qui s’était manifesté dans les petites choses aussi bien que dans les grandes : il avait, en effet, contribué aux décrets de novembre et de janvier, et on lui devait le rétablissement de la tribune. Glais-Bizoin s’écria : « Nous aimons à rendre un dernier hommage à votre haute impartialité ! » (1er avril.) « L’Empereur, dit Vaillant, paraît affecté de la manière dont Walewski a donné sa démission. »

Cependant l’Empereur ne fit pas à Rouher, la victoire aussi complète qu’il l’eût voulue. Il ne nomma pas président Jérôme David, un des fondateurs du cercle de l’Arcade, ce qui eût été un démenti trop brutal à ses promesses libérales ; il préféra Schneider, Le nouveau président n’avait de liaison qu’avec Magne ; très dévoué à l’Empereur, il n’appartenait ni à Rouher ni à l’Impératrice. Son caractère calme, flexible, transactionnel, convenait à merveille à la situation indécise où l’on se trouvait. Il plaisait à la majorité, et il était plutôt agréable à l’opposition. Il se montrait d’autant plus facilement impartial qu’il faisait de la politique en dilettante. Sa passion était ailleurs : industriel de génie, il avait fondé cette immense affaire du Creusot qu’il conduisait avec une netteté, une vigueur, une intelligence de premier ordre. Tout autre était-il dans la politique : là il disait rarement oui ou non, mais peut-être oui, peut-être non ; ou bien il se donnait l’air de ne pas comprendre, afin de ne pas s’expliquer. Il avait néanmoins, par sa haute situation et par sa longue familiarité avec la plupart des membres, une très réelle influence, d’autant plus efficace qu’il ne l’affichait pas. Il n’agissait pas d’autorité, à la façon de Morny et de Walewski, mais par insinuation. Ses collègues étaient déférens et écoutaient ses avis.